Abbé Christian Venard : « Au-delà des paroles et des lettres, nous voudrions enfin des actes forts »
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Sur votre blog[ref]https://blogdupadrevenard.wordpress.com/2017/03/21/pedophilie-gestion-de-crise-et-hierarchie-catholique/[/ref] ou dans votre chronique mensuelle pour la télévision KTO[ref]https://blogdupadrevenard.wordpress.com/2017/03/31/pedophilie-de-quoi-parle-t-on/[/ref], vous avez fait partie des quelques prêtres qui ont eu une voix forte pour dénoncer non seulement la pédophilie mais la mauvaise gestion de celle-ci dans l'Église. Que pensez-vous de la toute récente lettre[ref]https://eglise.catholique.fr/vatican/messages-du-saint-pere/459286-lettre-pape-francois-peuple-de-dieu/[/ref] du pape François adressée à tous les fidèles ?
À mon sens, il s'agit d'abord, au sens technique, d'une communication de crise. L'affaire épouvantable de l'Église catholique en Pennsylvanie (plus de trois cents prêtres incriminés aux États-Unis) exigeait une réponse forte. Le pape avait déjà écrit une lettre - pas assez commentée malheureusement - aux fidèles chiliens[ref]https://www.la-croix.com/Urbi-et-Orbi/Documentation-catholique/Actes-du-pape/lettre-pape-Francois-catholiques-chiliens-2018-06-04-1200944296[/ref]. Dans cette dernière lettre, le pape insiste sur le fait que les fautes de quelques-uns rejaillissent sur tous, et que les souffrances des victimes font souffrir aussi tout le corps de l'Église. Pour le pape, la réponse n'est pas que l'affaire des autorités mais de tout le peuple de Dieu : "L’ampleur et la gravité des faits exigent que nous réagissions de manière globale et communautaire. S’il est important et nécessaire pour tout chemin de conversion de prendre connaissance de ce qui s’est passé, cela n’est pourtant pas suffisant. Aujourd’hui, nous avons à relever le défi en tant que peuple de Dieu d’assumer la douleur de nos frères blessés dans leur chair et dans leur esprit." Comme beaucoup de prêtres, je reste pourtant encore déçu. Au-delà des paroles et des lettres, nous voudrions enfin des actes forts, à la hauteur des enjeux, non seulement dans l'accompagnement des victimes, mais aussi dans la justice, c'est-à-dire des sanctions sévères pour les coupables et pour les supérieurs qui n'ont pas su, ou pas voulu, prendre leurs responsabilités.
Pourtant, beaucoup a été fait. Ne craignez-vous pas de jeter l'opprobre sur tous les évêques avec de tels propos ?
S'il y a, dès aujourd'hui, amalgame affreux et opprobre, ce ne sont pas les évêques qui en souffrent, mais les simples prêtres. C'est une triste réalité objective : dans l'opinion publique, désormais, tout prêtre est considéré comme un pédophile en puissance. C'est atroce. Ce sont les supérieurs qui sont responsables, par leur manque de clarté, de vigilance et de courage, de cette situation. Il est donc normal qu'ils en portent leur part de responsabilité. Une partie de la défiance actuelle dans l'Église vient que trop souvent ces supérieurs ne rendent pas de comptes, qu'ils semblent intouchables et irresponsables.
Mais y aurait-il des solutions efficaces à mettre en œuvre ?
Je ne suis qu'un simple prêtre - qui plus est aumônier militaire ! Mais cela dit, deux éléments me semblent de nature à être mis en œuvre rapidement. Tout d'abord, que le pape crée une instance indépendante chargée de juger les évêques et les supérieurs religieux, dotée de grands pouvoirs et capable d'entrer en relation aussi avec les autorités judiciaires civiles. La composition de cette instance doit être telle qu'aucune influence cléricale ne puisse s'y faire sentir pour camoufler, minimiser les faits. Cette instance, rendant compte directement au pape, devrait rendre ses conclusions publiques. Il existe déjà, aujourd'hui, des procédures spécifiques romaines pour juger les clercs auteurs d'actes pédophiles. Il s'agit, désormais, de juger ceux qui n'ont pas pris les bonnes décisions et ont ainsi mis en danger des innocents et, plus largement, la vie de l'institution. Cela doit se traduire dans les faits par des démissions et des peines canoniques. Par ailleurs, plus en amont, il y a sans doute à réformer en profondeur la procédure de choix (trop souvent de cooptation) des évêques. On ne peut continuer à choisir des évêques avec des procédures qui remontent souvent au XVIIIe siècle ! Les progrès des sciences humaines devraient évidemment intervenir, comme cela se fait dans beaucoup de milieux professionnels, en particulier au travers de tests psychologiques, très performants aujourd'hui.
À ce propos, en France, un prêtre a lancé une pétition afin de demander au cardinal Barbarin de démissioner.
Il ne m'appartient pas de juger le cardinal Barbarin. Le fait que ce prêtre - canoniste, c'est-à-dire spécialiste du droit de l'Église - lance cette pétition montre l'ampleur du désarroi chez beaucoup de prêtres face à ce qui apparaît comme mollesse ou l'inaction de nos prélats dans ce domaine. Pour ce que je sais de l'affaire Preynat/Barbarin, je peux comprendre que l'on estime incohérent de la part de l'évêque de Lyon de n'avoir pas, de lui-même, renoncé à sa charge après tant d'erreurs commises. Peut-être l'a-t-il proposé au pape ? Peut-être celui-ci l'a-t-il refusé. Cela pose quand même question.
Une dernière question: pensez-vous que la crise sera durable et profonde ?
Oui, je le crains.
Profonde certainement, car c'est la confiance du peuple de Dieu envers ses pasteurs (les prêtres, les évêques) qui est remise en cause, sur des faits d'une ampleur et d'une gravité exceptionnelles. Toute forme de relativisation en la matière est d'ailleurs odieuse pour les victimes...
Durable ? Cela pourrait l'être moins si des mesures énergiques, concrètes, si des sanctions publiques et réelles (déplacer un clerc de poste n'est pas une sanction aux yeux du public ; bien au contraire, cela s'apparente à de la protection de coupable !) sont prises. C'est tout l'enjeu actuel.
Quand le Saint-Père nous invite, aujourd'hui, au jeûne et à la prière, c'est dans cet esprit : que par nos sacrifices nous nous rendions proches des victimes et implorions la miséricorde de Dieu ; qu'à nos prières, Dieu donne à son Église courage et force pour accomplir les réformes nécessaires, quel qu'en soit le prix. "La pénitence et la prière nous aideront à sensibiliser nos yeux et notre cœur à la souffrance de l’autre, et à vaincre l’appétit de domination et de possession, très souvent à l’origine de ces maux [...]. Que le jeûne nous donne faim et soif de justice et nous pousse à marcher dans la vérité en soutenant toutes les médiations judiciaires qui sont nécessaires." Il en va de la crédibilité de notre témoignage. Il y a urgence.
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