Alexandre Langlois : « Christophe Castaner et Emmanuel Macron ont choisi un discours sécuritaire et un maintien de l’ordre répressif qui oppose les policiers et les gilets jaunes »

Accusé par sa hiérarchie de "déloyauté", le policier Alexandre Langlois passera en conseil de discipline le 14 février prochain.

Au micro de Boulevard Voltaire, il dénonce la gestion du maintien de l’ordre par le gouvernement, dans le cadre du mouvement des gilets jaunes, et le malaise profond des forces de l'ordre.

Le Média, créé par des proches de La France insoumise, a fait état du fait que vous étiez accusé de déloyauté par votre hiérarchie. Que veut dire "être accusé de déloyauté" ?

Dans la police nationale, nous avons un Code de déontologie. Il prévoit que nous devons être loyaux envers notre institution et notre hiérarchie. Je suis également accusé d’avoir porté atteinte au crédit et au renom de la police nationale ainsi que d’avoir manqué à mon devoir de réserve en tant que syndicaliste. C’est assez particulier, parce que nous avons plus de liberté d’expression.
Il n’y a pas d’échelle de sanctions. Dans la fonction publique en général, et donc la police nationale, c'est l’administration qui détermine quel fait est fautif. Et c’est elle qui décide à quelle hauteur sanctionner l’agent.
Quand je passerai en conseil de discipline, le 14 février, l’administration pourra me mettre un blâme ou aller jusqu’à la révocation. Ce sera selon son bon plaisir.

Vous aviez largement critiqué l’emploi des forces de sécurité notamment liées aux manifestations de gilets jaunes. Jacques Toubon, le Défenseur des droits, avait proposé que le lanceur de balle de défense (LBD) soit suspendu pour la gestion des manifestations. Êtes-vous favorable à cette mesure ?

On se trompe de combat. Je veux bien qu’on supprime le LBD, mais par quoi le remplace-t-on ?
Si on n’a rien entre la matraque et le tir à l’arme à feu, cela va être problématique.
La vraie question qui n’est pas posée dans ce débat-là, c’est l’utilisation des ces armes et la formation qui va avec.
Il y a un an, nos collègues CRS nous avaient dit qu’ils tiraient cinq balles à l’entraînement tous les deux ans et qu’ils étaient, selon l’administration, des tireurs d’élite du LBD. Nous avions dit, à l’époque, que c’était inadmissible d’être si peu entraîné. Monsieur Morvan, directeur de la police nationale, avait dit que cela coûtait trop cher. Il a donc décidé d’augmenter la durée entre deux entraînements, avec cinq balles tous les trois ans. À l’heure actuelle, un collègue peut ne pas avoir touché le LBD pendant deux ans onze mois et quinze jours et être considéré par la police nationale comme un tireur d’élite.
Monsieur Morvan a rappelé les règles d’usage de l’arme. Il ne l’a pas du tout fait pour une empathie à l’endroit des gilets jaunes ou d’autres raisons de ce genre, mais bien pour se couvrir dans les procédures de mise en cause des blessures faites par cette arme. Ce n’est pas l’arme qui pose problème, mais son utilisation, le cadre et la formation associés.
Sur le maintien de l’ordre, nos collègues CRS ont très peu de tirs qui ont blessé ou mutilé. En revanche, nos collègues de la BAC agissent en tirant parfois un peu plus n’importe comment. Il y a une raison simple à cela : ils n’ont pas de formation au maintien de l’ordre. Ce n’est pas leur métier. C’est comme si, demain, on disait à un CRS "Tu vas faire de la police judiciaire". S’il n’a pas la formation adéquate, il sera incapable de suivre la procédure.
Le vrai débat doit porter sur ce qui sert cette arme et les conditions de son emploi.

Comment jugez-vous cette relation assez ambiguë entre la population française et les forces de l’ordre ?

Je pense qu’on se trompe de combat. Beaucoup de gens disent "Attention aux violences policières". Nous préférerions entendre "Stop aux violences de l’État policier". On essaie d’opposer le nombre de blessés chez les forces de l’ordre et le nombre de blessés chez les gilets jaunes. J’exclus, bien sûr, les délinquants et criminels contre qui nous avons dû faire usage de la force pour les interpeller et les maîtriser. J’exclus également les personnes qui ont été blessées ou mutilées, alors qu’elles étaient des manifestants pacifiques.
On veut opposer ces nombres de blessés en disant c’est tant dans un camp et tant dans l’autre. Nous sommes, au contraire, dans le même camp. Monsieur Castaner et monsieur Macron sont les metteurs en scène qui nous opposent tous les week-ends.
Ils ont choisi un discours sécuritaire. Ils font un usage répressif du maintien de l’ordre plutôt que de chercher la désescalade de la violence. Nous avons donc des metteurs en scène très dangereux qui décident de multiplier les blessés dans le peuple. Le peuple, c’est les gilets jaunes et les policiers.

Avec ce grand débat national, nous espérons la réconciliation entre la classe politique et, au moins, les gilets jaunes. En tant que citoyen, comment voyez-vous ce grand débat ? En tant que policier, espérez-vous que cela calme la situation ?

On a peu d’espoir, puisque beaucoup de sujets ne sont pas abordés.
La première cause de mort violente en France est le suicide. Nous avons un suicide tous les deux jours depuis le début de l’année, chez nous. Il n’y a, bien sûr, pas un mot là-dessus.
Sur d’autres sujets qui tiennent à cœur aux gilets jaunes, il n’y a pas un mot non plus.
Nous invitons tout le monde à y participer. On ne sait jamais ce qui peut en sortir. On peut avoir une bonne surprise. Et ce serait dommage d’avoir raté cette occasion.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 21/01/2019 à 17:20.
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Alexandre Langlois
Secrétaire Général du syndicat de police VIGI

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