Alfie Evans : archaïsme 2.0
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Pour nous qui vivons en ce XXIe siècle, et bénéficions par ce qui nous précède de l’apport des cultures, de la connaissance de l’Histoire, des morales philosophiques et religieuses, de l’excellence scientifique, des prouesses de l’innovation, nous savons plus que jamais que ce qui caractérise au cœur le terme polymorphe et insaisissable de « civilisation » s’appuie, en dernier recours, sur la place et la défense portées non à ses membres les plus puissants, mais aux plus faibles, qu’ils soient chétifs, pauvres, handicapés, malades ou moribonds.
Dans les siècles qui ont précédé le judaïsme, puis le christianisme, existaient des civilisations dont la puissance dans le temps ou l’espace n’a rien de secret. S’il nous faut remonter le temps, nous savons que l’époque précolombienne des Mayas n’était pas sans gloire. Pourtant, les sacrifices d’êtres humains y étaient courants, et un monarque enterré dignement voyait son sépulcre entouré de corps des petits d’hommes tués lors de ses funérailles. Si puissance il y avait, elle se prêtait volontiers à un profond archaïsme.
Les Grecs puis les Romains n’étaient pas en reste, eux qui conféraient aux pères le droit de vie ou de mort sur les enfants qu’ils abandonnaient régulièrement. Pis encore, la loi eugéniste inscrite dans les Douze Tables : "Pater insignem ad deformitatem puerum cito necato" : que le père tue immédiatement l’enfant qui est difforme. Voilà qui ne contredit en rien la puissance de l’Empire romain. Pourtant, elle s’arrêtait aux portes de la civilisation.
Nous oublions trop souvent les apports révolutionnaires des cultures judaïques et chrétiennes dans l’histoire de toute l’humanité, nous qui aimons leur cracher au visage. À notre siècle encore, au Brésil, on apprend que des enfants sont régulièrement tués ou abandonnés dans certaines tribus : "Un projet de loi a été adopté en 2015 par les députés pour criminaliser cette pratique en vigueur dans des tribus indiennes isolées. Mais le débat n’est pas clos" (Ouest-France). Leur crime : ici des jumeaux, là des handicapés, là encore des déficients mentaux. Tous ceux qui, avant l’idéologie judéo-chrétienne, n’avaient jamais voix au chapitre, privés au mieux d’un foyer, au pire de leur vie. Que les indigènes me pardonnent, mais ils ignorent encore certaines choses essentielles de la civilisation.
Nous aurons beau nous parer de toutes nos pensées humanistes et progressistes, la mort délibérée du petit Alfie Evans en Angleterre n’a rien de moins médiocre, macabre et révoltant que les abandons d’enfants et infanticides qui nous ont précédés ou qui nous entourent ici ou là. Alfie était en « état végétatif » (douce sémantique botanique pour parler d’un être humain). Or, l’on sait qu’un tel état peut durer longtemps sans que l’on meure, parfois sans souffrance. On sait, également, qu’il s’y vit des choses qu’on maîtrise fort mal. Le seul inconvénient, du reste, est que cela demande plus d’efforts à ceux qui restent ; notamment à ceux qui aimeraient bien libérer un lit et passer à autre chose. En définitive, un tel état de dépendance met à l’épreuve la grandeur de notre civilisation.
La nouveauté de l’acharnement mortifère intrinsèque à notre humanité est qu’il se pare désormais de médecine, de justice et, en définitive, de morale et d’amour. Son talent est de faire passer les archaïques pulsions d’une société pour une réponse pleine de compassion. Comme pour l’avortement. Comme pour l’euthanasie. Comme pour l’eugénisme. Alors, on abandonne Alfie. Alors, on tue Alfie.
Il n’y a d’amour qu’à soigner si on ne peut plus prévenir, qu’à entourer si on ne peut plus soigner, qu’à nourrir si on ne peut plus entourer, qu’à aimer si on ne peut plus nourrir. Et si, comme au temps des mayas, notre puissance se mesure au nombre de petits corps qui nous entoure, il se peut qu’à défaut de devenir une grande civilisation, les lobbies progressistes qui ont tué Alfie Evans soient en effet très puissants. Souhaitons, alors, qu’ils meurent, comme le monarque.
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