Bruno Le Maire et la métamorphose des cloportes

C'est l'histoire d'un voyou qui a pris cinq ans de taule à cause d'un trio de pieds nickelés qui l'ont laissé choir et qui, à la sortie, n'a qu'une idée : se venger de ces « cloportes ». À sa grande surprise, les cloportes (Edmond Clancul, Dédé le Rouquemoute et Youpe le Fourgue) sont devenus de respectables bourgeois. Commence alors une vengeance à la Monte-Cristo, en moins grandiose et moins profond, évidemment. Vous avez reconnu ? C'est La Métamorphose des cloportes, un livre d'Alphonse Boudard porté à l'écran par Pierre Granier-Deferre, avec Lino Ventura dans le rôle principal.

De cloportes il était à nouveau question sur TV5, jeudi dernier, lors de l'interview de Bruno Le Maire. On sait le ministre à la fois bon connaisseur de la littérature mondiale et porté sur les références un peu canailles. Aussi, quand il a comparé les conseillers élyséens à des « cloportes », visant très probablement Bruno Roger-Petit et Pierre Charron, il ne pouvait pas ne pas penser à la fois à Kafka et à Boudard. Dans La Métamorphose, de Kafka, le brave Gregor Samsa se transforme en insecte immonde. Dans le livre de Boudard, ce sont les insectes qui posent aux puissants. À quels cloportes Bruno Le Maire pouvait-il bien penser ? Peut-être à aucune des deux sortes. Peut-être cette sortie violente, et forcément calculée, était-elle au premier degré.

Chaque administration, on le sait bien, abrite en son sein ce genre de créatures rampantes, à l'abri des coups sous les pierres plates, lovées dans la tiédeur confortable de leur petit monde médiocre. L'Élysée et les cabinets ministériels n'échappent probablement pas à la règle, en effet. Les cloportes auxquels pense Le Maire n'ont jamais connu les difficultés de la vie politique. Ils n'ont jamais rien fait d'autre que donner des conseils en terrasse dans des bistrots parisiens. C'est probablement ce qu'ils ont fait lorsqu'ils ont conseillé à Macron de dissoudre l'Assemblée nationale. On comprend que le ministre, à qui on peut reprocher beaucoup de choses mais pas son refus de s'exposer, ait été indisposé par cette lâcheté donneuse de leçons.

Mais, à bien y regarder, Bruno Le Maire, lui aussi, a fait partie des cloportes de cabinet, dès 2002, au service de Dominique de Villepin. Il a même été son directeur de cabinet. Chef des cloportes, qu'il a été, le gars. Et puis, Édouard Philippe a apporté son soutien à Le Maire en abondant dans son sens. Ces deux-là préparent quelque chose. Quelque chose comme une trahison envers Emmanuel Macron, pour qui ils avaient déjà trahi l’UMP, Macron qui avait lui-même trahi Hollande. En politique, on est toujours le cloporte de quelqu'un.

Avant de jeter la pierre aux petits conseillers, qui incarnent avec plus ou moins de bonheur le rôle de « Grima langue de serpent » décrit par Tolkien dans la trilogie du Seigneur des anneaux, peut-être le ministre de l'Économie ferait-il mieux de regarder s'il n'a pas, lui aussi, deux ou trois « cloporteries » à se reprocher. Pas du même calibre, car il vole plus haut que les petits comploteurs, mais de celles qui laissent derrière elles, à mesure qu'on monte les degrés, comme dit Cyrano, « un bruit d'ambitions sèches et de regrets ».

On est en 2024 et une première pierre plate a été soulevée : celle de la dissolution. Cafards, vers, cloportes et fourmis politiques, tous aveuglés par la lumière démocratique, se contorsionnent pour vite retourner dans le confortable humus du parlementarisme. Vivement 2027 ! Ou avant...

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