Cette jeunesse française 2.0 constitue un angle mort… Elle a seulement droit à l’épithète infamante (et, pour le coup, stigmatisante) de « petits » Blancs
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Le nouveau numéro d’Éléments est en kiosques. Entretien avec son rédacteur en chef, François Bousquet.
Au sommaire de la dernière livraison d’Éléments : les jeunes réacs qui démodent Mai 68. Mais ceux de vos lecteurs qui s’attendent à trouver dans votre dossier un portrait de la Manif pour tous en seront pour leurs frais, c’est à la jeunesse de la France périphérique que vous vous intéressez…
La France des invisibles dans ses tranches d’âge les plus jeunes : les 16-25 ans. Comme leurs parents déclassés, qui votent Marine Le Pen ou s’abstiennent massivement, eux aussi ont fait sécession, faute de susciter l’intérêt des chercheurs en sciences sociales et des journalistes. Pas assez exotiques pour les salles de rédaction parisiennes où le couplet sur « Nos ancêtres les Gaulois ! » a été chassé par celui sur « Nos ancêtres les Africains ! » Sortie des écrans radar médiatiques, cette jeunesse française 2.0 constitue un angle mort statistique, sociologique, politique, médiatique. Elle a seulement droit à l’épithète infamante (et, pour le coup, stigmatisante) de « petits » Blancs. Faute d’appartenir aux « minorités visibles », elle n’a ni les faveurs des médias ni celles des politiques de la ville. Aucun plan Borloo ne lui a jamais été destiné, aucun sociologue pour s’apitoyer sur son sort, aucun crédit budgétaire à son attention, aucune ZEP (les zones d’éducation prioritaire). Même Michel Houellebecq, qui était sans doute le mieux placé pour en dresser le portrait, a fini par avouer, non sans franchise, qu’il ne la connaissait pas. Circulez, y a rien à voir ! Or, elle existe, cette jeunesse, et elle revient de loin. Des années de décérébration scolaire, de déculturation planifiée, de discrimination positive qui ne dit pas son nom, où l’histoire de l’esclavage, de la Shoah, des royaumes africains a progressivement envahi les programmes scolaires. Résultat : on a fabriqué une génération d’amnésiques contraints de reconstruire leur identité à partir de rien, sinon du seul langage que ces jeunes maîtrisaient : celui des réseaux sociaux, du rap, des séries télévisées, des jeux vidéo. Raison pour laquelle ils sont aussi déroutants pour leurs aînés. C’est avec les outils de la culture juvénile et numérique qu’ils se sont réappropriés leur identité. Le Web est devenu leur terrain de jeu, l’exutoire de leurs frustrations sociales et leur champ de bataille.
Comment?
Ils ont colonisé Internet en annexant les forums avec leurs « trolls » (messages polémiques) et en inondant les plates-formes d’hébergement de vidéos comme YouTube et Dailymotion. À partir de quoi ils ont pu diffuser cette contre-culture querelleuse propre à la « réacosphère », encore largement informelle, mais violemment anti-système. À la manœuvre, des youtubeurs et des blogueurs qui cumulent des dizaines de millions de vues, dans le silence assourdissant des médias centraux, du Raptor dissident au Chat patriote, de Papacito au Lapin taquin. "Aujourd’hui, s’enorgueillit ce dernier, l’institution, c’est Canal+, la subversion, c’est nous." Nombre d’entre eux se font fait connaître via un forum en ligne à la popularité inégalée, consacré aux jeux vidéo : la section 18-25 ans du site jeuxvideo.com, qui se trouve être le 24e site le plus consulté de France (des dizaines de messages y sont postés chaque minute). Ce forum est le premier réseau social chez les jeunes en France. Il n’est pas exagéré de dire qu’il constitue le bruit de fond d’une colère souterraine qui enfle. Ces réserves de colère légitime ne demandent qu’à être canalisées pour trouver un débouché politique.
Entre tous, il y a le dessinateur Marsault, qui fait votre couverture « coup de poing », c’est le cas de le dire, puisqu’on y voit un personnage esquisser un direct du gauche…
"Marsault, c’est la rencontre entre le dessinateur Gotlib, le boxeur Mike Tyson et l’écrivain Charles Bukowski", dit de lui son éditeur, David Serra, le patron de la maison Ring. Comme il est politiquement et graphiquement incorrect, vous ne le verrez ni chez Laurent Ruquier ni à "La Grande Librairie". C’est pourtant un phénomène de société. Mieux : de contre-société. Plébiscité par la jeunesse, snobé par le Système. Près de 300.000 abonnés sur sa page Facebook. Le dessinateur ne gomme pas, il dégomme. C’est de la bande dessinée gros calibre ! Son personnage emblématique s’appelle Eugène. "Un gars baraqué qui fait 120 kg de muscle et met des tartes aux vieilles gouines socialistes et aux clodos qui portent des dreads", résume son créateur. Le Rambo des ploucs – en plus droitard et en plus franchouillard. Une machine à distribuer des bourre-pif supersoniques. "Breum, breum !" Breum, c’est la signature balistique d’Eugène et la marque de fabrique de Marsault qui, à 30 ans, affiche un beau palmarès de serial dessinateur : deux volumes de Breum : Attention, ça va piquer (2016) et Blindage et liberté (2016) ; Sans filtre, l’intégrale (2017) ; et Dernière pute avant la fin du monde (2017), tous parus chez Ring. Autant dire que ça décoiffe, même ceux qui ont la nuque un peu raide. Marsault dessine comme on monte un mur de parpaings, ou plutôt comme on le démolit. Entrepreneur de démolitions, disait Léon Bloy. C’est cru, brutal, expéditif. Les 120 kg de muscle d’Eugène mettent rapidement un point final à la conversation. Breum ! À la machette ou à l’AK-47. Ses victimes sortent généralement d’une section parisienne du Parti socialiste, d’une AG de zadistes loqueteux, d’un squat pouilleux au milieu d’une fac de sociologie - occupée ou pas. Que nous dit le succès de Marsault ? Que la subversion a changé de camp et même d’hémisphère, qu’elle s’est installée à droite, chez les « petits » Blancs. C’est là, désormais, que le talent s’épanouit, à la lisière du Système, pas complètement en dehors – sans cela, c’est la mort sociale –, mais surtout pas en son centre – c’est la mort de l’originalité. Et Marsault est assurément un des plus originaux de sa génération. Breum lecture, comme dirait Eugène !
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