[CINEMA] Borgo, le film inspiré de l’affaire Cathy Sénéchal

Capture d'écran film Borgo

Le 5 décembre 2017, l’aéroport de Bastia-Poretta fut le théâtre d’un règlement de comptes important dans le milieu corse. Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni furent abattus froidement par un tueur que les autorités soupçonnent, depuis lors, d’être Richard Guazzelli, lequel aurait eu à cœur de venger son père Francis Guazzelli, assassiné en novembre 2009.

Membre du gang de la Brise de mer, ce dernier, en effet, aurait selon toute vraisemblance été éliminé avec ses amis du milieu bastiais par Jean-Luc Germani, Antoine Quilichini et Jean-Luc Codaccioni. Une vague de crimes qui s’étendit de janvier 2009 à août 2012 et qui jamais ne fut élucidée par les autorités. Depuis, les fils éplorés de la Brise de mer, Richard et Christophe Guazzelli, ainsi que Jacques Mariani se seraient associés à Ange-Marie Michelosi (junior), fils du truand ajaccien Ange-Marie Michelosi abattu en 2008, pour éradiquer le clan Germani et venger leurs pères.

Dans leur sombre projet, les jeunes firent appel à une surveillante de la prison de Borgo, Cathy Sénéchal, chargée dans un premier temps de leur communiquer les dates de permission de sortie de Codaccioni, puis de désigner sur place, à l’aéroport, les deux cibles à abattre. Une simple bise de la surveillante – véritable baiser de la mort – suffit alors à identifier les futures victimes et à donner le signal à l’assaillant.

Avec Borgo, le réalisateur Stéphane Demoustier, à qui l’on doit La Fille au bracelet, très bon film de prétoire sorti en 2020, s’inspire librement de cette affaire et en modifie les noms. Il laisse de côté les dessous du double assassinat de Bastia-Poretta (relocalisé à l’aéroport d’Ajaccio) et met la focale sur cette matonne un peu trop encline à franchir la ligne jaune… Comme dans La Fille au bracelet, le cinéaste interroge la psyché de son personnage principal mais n’atteint jamais tout à fait le même niveau d’opacité, tant il se montre indulgent envers la surveillante. D’un bout à l’autre du récit, Demoustier nous la montre réticente à se laisser happer par le milieu criminel et, ce faisant, il perd ce qui faisait le sel de la véritable affaire : la fierté naïve et la complaisance de Cathy Sénéchal face aux enquêteurs. Car les déclarations de celle-ci furent sans équivoque : « Je suis une tueuse, ouais, j'ai tué des gens […] J'estime que, lorsqu'il y a un travail à effectuer, il faut le faire jusqu'au bout […] Je suis restée fidèle à mes engagements […] J'avais un boulot à faire, faut pas mettre de sentiments […] Je ne viens pas de ce milieu et j'ai bien travaillé. La Parisienne comme moi qui arrive en Corse, qui ne parle pas un mot de corse et qui rentre dans un truc comme ça, c'est fort, quand même. »

Par ailleurs, c’est à peine si le réalisateur évoque les divers trafics de stupéfiants et de téléphones portables de la gardienne, ainsi que ses liaisons à répétition avec les détenus. Bref, Stéphane Demoustier est totalement passé à côté de son sujet. Pire : il donne l’impression, maladroitement, que c’est le fonctionnement particulier de la prison de Borgo et sa politique permissive qui sont en cause ; ce qui revient, au moins partiellement, à déresponsabiliser la surveillante.

À l’approche du procès, prévu en mai 2024, on apprend que l’avocat de Cathy Sénéchal, Me Renaud Portejoie, est extrêmement mécontent de la sortie du film. Il devrait pourtant se réjouir de voir celui-ci gommer ainsi les traits de personnalité les moins reluisants de sa cliente…

2 étoiles sur 5

Pierre Marcellesi
Pierre Marcellesi
Chroniqueur cinéma à BV, diplômé de l'Ecole supérieure de réalisation audiovisuelle (ESRA) et maîtrise de cinéma à l'Université de Paris Nanterre

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