Le Crépuscule des idoles progressistes (1) : Des héritiers sans testament
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Durant le mois d'août, Boulevard Voltaire fait découvrir à ses lecteurs un livre récent que la rédaction a apprécié. Chaque jour, un nouvel extrait est publié. Cette semaine, Le Crépuscule des idoles progressistes, de Bérénice Levet.
Née au début des années 1970, j’appartiens à cette première génération élevée par des parents, éduquée sinon instruite par des instituteurs et des professeurs qui, dans le sillage de Mai 68, avaient renoncé à assumer leur responsabilité d’adultes, à nous inscrire dans un monde vieux, plus vieux que nous, une humanité particulière riche d’un héritage millénaire. Nous avons été le laboratoire d’expérimentation d’une nouvelle figure d’humanité.
Le grand alibi de cette démission était notre liberté. Convaincus d’engendrer des individus d’autant plus libres que ceux-ci auraient été délestés du fardeau de l’héritage civilisationnel, ils ont renoncé à nous escorter dans le monde. La conviction dont ils se grisaient, et dont nous nous grisons encore, était qu’en nous affranchissant des codes, des règles, ils nous rendraient à notre créativité originelle.
[…]
Les adultes ne se concevaient plus comme les dépositaires d’un héritage, ce qui explique la légèreté avec laquelle ils le sacrifieront. Ils se sont arrogé le droit, sinon d’interrompre une civilisation, en tout cas de ne pas lui assurer d’avenir. Et se sont, du même coup, dispensés de nous inscrire dans une histoire, de nous donner une identité.
L’usage se répandait d’appeler les parents par leur prénom. Ils ne nous corrigeaient pas. Cette pratique était symptomatique d’un déni des rôles institutionnels. Père, mère sont des fonctions, ont partie liée avec une généalogie, une filiation. Or, ils ne se voulaient plus les représentants de rien ni de personne, que ce soit d’une famille, d’une civilisation, d’une institution. Ils se voulaient des individus. C’est un point capital, me semble-t-il.
L’idée de représenter quoi que ce soit d’autre qu’eux-mêmes, que leur propre personnalité leur devenait étrangère. L’individu post-68 vit, veut vivre en dehors de toute transcendance, transcendance de Dieu, mais également transcendance de la civilisation, de la nation auxquelles il doit d’être ce qu’il est. La conscience d’une dette contractée à l’endroit des ancêtres ne l’effleure pas même, de là l’autorisation qu’il se donne de ne plus transmettre l’héritage aux générations à venir.
Ils commençaient d’exécrer les prérogatives attachées au statut d’adulte, spécialement la responsabilité. Ils cultivaient une certaine immaturité qui est allée s’exacerbant. Ne jamais vieillir, se promettaient les rebelles de Mai. L’adolescence s’éternise et les adultes se complaisent dans des pratiques infantiles. Ils se déplacent en patinette, lisent des bandes dessinées, parlent une langue rudimentaire copiée sur celle de leurs enfants, chassent les Pokémon, et déposent sur les lieux des attentats islamistes des "doudous".
"On peut faire de tout le monde des égaux (dit l’histoire), mais on ne fera jamais de tout le monde des aînés", écrivait Péguy. Comme pour contourner cet obstacle, on a fait de tout le monde des enfants, des adolescents ! La hantise d’être en retard sur la jeunesse taraude la génération des baby-boomers.
La crainte de n’être pas aimés de leur progéniture, de leurs élèves les tyrannise. On songe à la phrase de Bernanos : "Rousseau veut que nous soyons les amis de nos enfants […], il est moins difficile d’être ami que d’être père." Être "sympa", le mot n’était pas encore à la mode, mais la chose, elle, l’était déjà. Marcel Gauchet a très justement parlé de stratégie d’« évitement ». On esquive les situations qui peuvent se révéler conflictuelles.
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