[EXPO] Épargnés par les flammes, les grands tableaux de Notre-Dame de Paris

Louis Chéron, Les prédictions du prophète Agabus à S. Paul, 1687 (détail). © Photo BV
Louis Chéron, Les prédictions du prophète Agabus à S. Paul, 1687 (détail). © Photo BV

Les 19 et 24 avril 2019, les tableaux ornant Notre-Dame de Paris furent évacués de la cathédrale encore fumante. Grâce à Dieu, aucun n’avait été détruit ni abîmé. Les années consacrées à la reconstruction n’ont pas été perdues, puisque les tableaux ont été restaurés, étudiés à la loupe et aux rayons ultraviolets et infrarouges. Ils sont exposés à la galerie des Gobelins, avant de retrouver les murs de Notre-Dame à la fin de l’année.

Parmi les œuvres exposées figurent treize mays. Des mays ? Entre 1630 et 1707, la corporation des orfèvres de Paris offrit, tous les 1ers mai, à la cathédrale un grand tableau, pour le mois de Marie. Les 76 mays furent éparpillés à la Révolution. Leur destin sera varié. Certains ont été perdus, d’autres placés en province. On en comptait treize dans Notre-Dame, lors de l’incendie. Quelques artistes eurent l’honneur d’en peindre deux, l’excellent Laurent de La Hyre (1635 et 1637) et Charles Le Brun (1647 et 1651). Les autres artistes sont Jacques Blanchard, Aubin Vouet, Charles Poerson… ou les moins connus Mathieu Elias, Louis Testelin, Nicolas Loir… Cela fait des mays un ensemble d’une grande importance, avec ses forces et ses faiblesses.

Saint Pierre guérissant des malades de son ombre, Laurent de La Hyre, 1635 © DRAC Île de France.

Du point de vue des sujets, beaucoup sont tirés des Actes des Apôtres (et parfois de La Légende dorée les concernant) : un choix marqué par la Contre-Réforme. L’exposition présente chaque œuvre avec la citation scripturaire correspondante. C’est heureux, car on s’aperçoit qu’à part quelques thèmes célèbres comme la conversion de saint Paul ou la crucifixion de saint Pierre, on connaît bien mal les Actes des Apôtres. Saint Pierre guérissant les malades de son ombre, le centurion Corneille se prosternant aux pieds de saint Pierre et celui-ci lui répondant: « Je ne suis qu’un homme, moi aussi », saint Paul rendant aveugle le faux prophète Barjesu, le prophète Agabus prédisant à saint Paul ses souffrances à Jérusalem… Les peintures sont autant d’incitations à approfondir notre connaissance de ce livre.

La Nativité de la Vierge, des frères Le Nain, n’est pas un may : un « simple » tableau d’autel pour une chapelle latérale de Notre-Dame (1640). Simple, dénué de toute théâtralité baroque. Une merveille, avec quelques-unes de ces figures propres à ces artistes, et qu’on n’oublie pas. Une page d’art, d’art sacré, sans équivalent.

La nativité de la Vierge, Louis et Matthieu Le Nain, 1640 © DRAC Île de France.

La composition est complexe. Le rôle principal est donné à la nourrice qui s’apprête à allaiter la toute petite Marie, avec gravité, hésitant presque devant l’honneur qui lui est fait. Un ange fait sécher un lange près du feu, l’humilité de l’emploi ne l’empêche pas de ressentir la grandeur du moment et de manifester une crainte étonnée devant la présence de cette nouveau-née. Saint Joachim, qui s’était cru infertile et qu’un ange avait rassuré, regarde avec tendresse ce fruit inespéré. « Où est la maman ? » Sainte Anne n’est pas loin, à l’arrière-plan droit.

Les grands décors de Notre-Dame, ce sont aussi des toiles de Lubin Baugin (Le Martyre de saint Barthélemy, que le bourreau commence à dépecer), de Ludovic Carrache, de Jérôme Francken, de Guido Reni (un sujet des plus rares: Le Triomphe de Job) ; et deux fragments du Guerchin, dont un très beau visage tourné vers nous. La Tenture de la vie de la Vierge appartient aussi à l'histoire de Notre-Dame, même si elle n’a pas subi l’incendie : elle a été achetée au XVIIIe siècle par le chapitre de la cathédrale de Strasbourg, où elle est conservée. Elle a été tissée sur des cartons de Philippe de Champaigne, Jacques Stella et Charles Poerson pour orner le chœur.

On tremble à la pensée que le trésor de la cathédrale, que tous ces mays, que le tableau des Le Nain et les autres auraient pu disparaître le 15 avril 2019. Passés entre le feu et l’eau, ils sont comme Notre-Dame : des rescapés. Il faut croire que les œuvres d’art ont aussi leur ange gardien.

• Jusqu’au 21 juillet 2024. Galerie des Gobelins, 42, avenue des Gobelins, 75013 Paris. Metro : Gobelins (ligne 7). Du mardi au dimanche de 11h à 18h.

Le martyre de Saint Barthélémy, Lubin Baugin, vers 1645-1655 © DRAC Île de France.

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

5 commentaires

  1. Ils n’ont pas encore prétendu que c’était Poutine qui avait commandité l’incendie. Et pourtant…

    • Merci beaucoup.
      Je lis cet article très agréablement illustré, juste après celui du jour sur la GPA.
      Comment devant l’illustration de la nativité de Marie ne pas faire un lien ?
      On voit la mère de Marie au fond, et la nourrice au premier plan. C’est donc l’APA, l’allaitement pour autrui. Cet allaitement n’est-il pas aussi une marchandisation du corps de la femme (le sein au travail au lieu de l’utérus)? L’APA serait une possible marchandisation qui ne posait alors pas trop de problème pour l’Eglise il me semble ( du moins en ce siècle où elle même faisait commerce d’indulgences, révulsant ainsi de nombreux chrétiens). La mère de Marie paraît clairement en souffrance et l’aide de la nourrice n’est pas malvenue ( et mérite peut être récompense). C’est une situation qui rejoint celle de la GPA aujourd’hui.
      Et Marie, la Vierge, mère porteuse de dieu, rappelle aussi la GPA. La GPA doit elle être réservée à Dieu en toutes circonstances , ou y a t’il des exceptions envisageables ?

  2. Je n’avais jamais remarqué ces tableaux, probablement peu mis en valeur à Notre-Dame. Il faut parfois un drame pour découvrir que nous possédons des trésors insoupçonnés et comprendre combien on y tient, un peu comme notre civilisation quand elle est attaquée de toutes parts. Je doute qu’il existe aujourd’hui beaucoup de « Français » pour comprendre les sujets évoqués ici, et c’est probablement une des causes de nos problèmes, nous ne transmettons plus notre civilisation à nos descendants … contrairement à d’autres qui se chargent de transmettre la leur avec beaucoup d’application.

  3. Magnifique . Maintenant il va falloir les protéger de ces idiots qui balancent soupe ou peinture .

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