[EXPO] Un moment hors du temps face à La Vierge du chancelier Rolin, de Van Eyck

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Débarrassée d’un vernis vieux de quelques siècles et jauni, La Vierge du chancelier Rolin est l’objet d’une intéressante exposition. Autour du chef-d'œuvre de Jean van Eyck, le Louvre regroupe d’autres tableaux ou enluminures du maître, des œuvres de contemporains ou de suiveurs qui montrent l’influence qu’eut ce tableau. Du concentré de belle iconographie.

Originaire du Limbourg, Jean van Eyck (1390-1441) est issu d’une famille qui « semblait être née pour la peinture », écrit Descamps au XVIIe siècle. Son frère Hubert était peintre aussi, ainsi que leur sœur Marguerite. Célèbre, elle préféra l’art au mariage. Il y eut aussi Barthélemy van Eyck, dont on ignore le lien avec la fratrie, et qui fut le talentueux peintre du roi René (on peut voir de ses œuvres à l’actuelle exposition du musée de Cluny).

Jan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin, vers 1430 ?, huile sur bois (chêne), H. 66 x l. 62 cm, Paris, musée du Louvre © RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado

L’exposition regroupe six œuvres de Van Eyck - du jamais-vu en France - comme La Vierge de Lucques, qui allaite l’Enfant sous un riche dais, mais aussi une célèbre enluminure : La Naissance de saint Jean-Baptiste (et, en vignette inférieure, Le Baptême du Christ) où se mêlent religieux et profane avec des coins aux allures de nature morte, un chien, un chat qui lèche l’écuelle. Le vieux Zacharie lit un livre à l’écart. Il n’a pas encore retrouvé la parole.

Un homme seul face au Mystère

Qui était Nicolas Rolin (1376-1462) ? Chancelier de Bourgogne durant 40 ans, on se souvient de lui comme fondateur des hospices de Beaune et commanditaire d’au moins deux chefs-d'œuvre : le polyptyque du Jugement dernier, commandé à Rogier van der Weyden, et ce tableau de Van Eyck qui porte désormais son nom, pièce maîtresse peinte à l’huile vers 1430. Œuvre presque carrée, elle représente le chancelier agenouillé devant une Vierge à l’Enfant. Derrière eux, le « jardin clos », symbole de la pureté de la Vierge, sorte de petit paradis revisité avec sa faune et sa flore, où Van Eyck est l’héritier d’une longue tradition mais à laquelle il ajoute sa minutieuse observation. Au-delà, un vaste paysage, urbain puis délicatement barré de montagnes bleutées, rythmé par les méandres d’un fleuve.

Première nouveauté : le chancelier n’est pas plus petit que la Vierge, comme cela se faisait auparavant, par exemple dans un tableau de Jacopo Bellini (bizarrement titré Une Vierge d’humilité adorée… Que voilà un titre hétérodoxe.) Il n’est pas, non plus, accompagné par son saint patron. En dépouillant la scène de quelques personnages, certes augustes mais encombrants, Van Eyck la rend plus silencieuse. La prière du chancelier devient nettement intimiste.

Au centre, les deux personnages qui tournent le dos à la prière ont connu un vif succès chez les confrères de Van Eyck. Sont-ils les tièdes qui se détournent de la contemplation, absorbés par le cours du monde ? C’est le sens manifeste qu’ils prendront chez Jérôme Bosch, où ils se détournent obstinément de l’ecce homo pour regarder, du pont, la rivière.

Jérôme Bosch, Ecce Homo, vers 1485-1500, chêne, H. 71,1 ; 60,5 cm. Francfort, Städel Museum © Städel Museum, Frankfurt am Main

Chez Van Eyck, ces bonshommes semblent plutôt nous inviter à contempler le paysage fait d’une puissante ville à droite, d’un village à gauche, et la campagne au-delà. Ce paysage où vaquent les hommes sont-ils une allusion au gouvernement dont Rolin, dignitaire le plus important de l’État bourguignon, assuma la charge ? Il peut signifier le devoir d’État, mais aussi la beauté de la Création. Et peut-être - plusieurs degrés de lecture sont autorisés - est-il l’image même du mystère, infini. Le fleuve comme élément structurant de la composition, avec une ville, une île, sera repris par bien des artistes, en particulier Petrus Christus ou Jean Haincelin (Saint Jean à Patmos, enluminure).

Autre focus sur un détail du tableau : les chapiteaux historiés qui couronnent les colonnes. Ils sont de style roman. Van Eyck en a mis de décoratifs (à entrelacs) et des historiés (Adam et Ève chassés du Paradis, l’histoire de Caïn et Abel, l’histoire de Noé). Histoires dans l’histoire, mais surtout parallélisme traditionnel entre la Chute et la Rédemption - avec cette Vierge qu’un ange s’apprête à couronner et l’Enfant sauveur du monde, qu’on oublierait presque, tant il y a de choses à regarder. Ne nous y méprenons pas : ce sont eux le premier sujet de ce chef-d'œuvre.

• Musée du Louvre, jusqu’au 17 juin 2024. 9h-18h : lundi, mercredi, jeudi, samedi et dimanche. 9h-21h45 le vendredi. Fermé le mardi.

Jan van Eyck (Main G), Nativité de saint Jean Baptiste ; Baptême du Christ. Heures dites de Turin- Milan, section du missel (Heures de Milan). Paris, vers 1390-1405 (texte et décor secondaire) ; La Haye, 1422-1424. Parchemin, H. 28 ; l. 20,2 cm. Turin, Museo Civico d’Arte Antica © By courtesy of the Fondazione Torino Musei (photo: Studio Fotografico Gonella 2012)

Samuel Martin
Samuel Martin
Journaliste

Vos commentaires

2 commentaires

  1. Merci jeune homme (SM) pour la vive intelligence de vos articles que je lis avec bonheur
    Surtout ne changez rien, ainsi vous êtes précieux…

Commentaires fermés.

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