Frédéric Rouvillois sur l’article 16 : « le Président peut enrayer toute la machine »

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Agrégé de droit public, Frédéric Rouvillois enseigne le droit constitutionnel et les libertés fondamentales à l'université de Paris. Il a publié une trentaine d'ouvrages, dont le dernier, Politesse et politique, publié en mars dernier aux Éditions du Cerf.

 

Marc Baudriller. Les Français sont appelés aux urnes pour des élections législatives, les 30 juin et 7 juillet. Mais le président de la République n'est pas assuré d'obtenir, à l'issue du scrutin, la majorité des voix des députés. Emmanuel Macron aurait évoqué en privé l'usage de l'article 16 de la Constitution, ce que l'Élysée dément. Que dit l’article 16 ?

Frédéric Rouvillois. L’esprit initial de l’article 16 a été imaginé par de Gaulle en 1958, alors qu’il avait été traumatisé par la débâcle de 1940. Le président de la République de l’époque, Albert Lebrun, n’avait eu aucun moyen juridique et constitutionnel de reprendre les choses en main afin d’éviter la défaite honteuse de la France. S’il avait eu des pouvoirs plus importants, Albert Lebrun aurait pu, notamment, décider que le gouvernement soit envoyé en Afrique du Nord pour continuer le combat.

Donc, en 1958, de Gaulle se dit que ce type de situation pourrait très bien se renouveler. Et, par conséquent, il faudrait que, le cas échéant, le président de la République puisse avoir la liberté, en son âme et conscience, de se saisir du pouvoir presque dictatorial. Le texte dit qu’il peut prendre toutes les mesures nécessaires lorsque cela s’impose : lorsque, d’une part, il y a une grave menace sur les institutions, l’État et la nation, et lorsque, d’autre part, il y a une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Ce sont des conditions cumulatives.
Dans ce cas, le chef de l’État peut ouvrir l’article 16 et, pendant une période variable, il aura les mains libres. Concrètement, il disposera à la fois des pouvoirs exécutif et législatif.

 

M. B. La durée de cette période de pleins pouvoirs est-elle limitée par la Constitution ?

F. R. La durée n’a pas été envisagée par de Gaulle. En 2008, une grande révision constitutionnelle lancée par Sarkozy a ajouté un double délai : au bout de 30 jours, certains organes de l’État, 60 députés ou 60 sénateurs peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour lui demander si les conditions d’ouverture de l’article 16 sont toujours réunies. De plus, au bout de 60 jours, le Conseil constitutionnel, de plein droit, détermine si les conditions sont toujours réunies et donne alors un avis public. Mais, pour autant, cela ne change rien au problème. Si, de son côté, le président de la République considère que les conditions sont toujours réunies, il pourra continuer à appliquer l’article 16 et conserver les pleins pouvoirs.

 

M. B. Les conditions sont-elles réunies pour qu’Emmanuel Macron fasse appel à cet article 16 ?

F. R. Le texte de l’article 16 paraît assez précis, mais en réalité, il ne l’est pas du tout. La notion de « grave menace » ou de « fonctionnement régulier » des pouvoirs publics dépend de l’interprétation qu’on en donne. Rien n'interdirait à Macron de considérer que, si la droite obtient une majorité absolue aux élections législatives et que Jordan Bardella ne veut pas pour autant devenir Premier ministre, la situation représente une grave menace pour l’État et la nation. On aurait alors une interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics car il n’y aurait pas de gouvernement. Les conditions seraient réunies. Macron en est tout à fait capable. Il a poussé Élisabeth Borne à multiplier les 49.3, il est capable d’utiliser tous les outils constitutionnels, et pourquoi pas cet article 16.

 

M. B. En 1961, la France a déjà décidé l’application de l’article 16 : combien de temps ?

F. R. Le seul qui ait mis cet article en œuvre, c'est en effet le général de Gaulle. En avril 1961, vers la fin du putsch des généraux qui a duré à peu près 72 heures, de Gaulle a déclenché l’article 16. Sa pertinence juridique pouvait être contestée, car de Gaulle a maintenu l’application de cet article 16 jusqu’en septembre, soit environ six mois. Les conditions n’étaient plus réunies à ce moment-là. Mais cela lui a permis de prendre des décisions plus rapidement. L’Assemblée nationale était présente, mais concrètement, elle ne fonctionnait pas, elle ne pouvait pas adopter de motion de censure ni de loi.

 

M. B. Pour Macron, quels seraient les avantages et les limites de ce recours à l’article 16 ?

F. R. Si Macron ne parvient pas à faire un gouvernement du centre, avec un bloc central qui pourrait nouer des alliances à droite ou à gauche, en fonction des textes, il pourrait faire en sorte de bloquer complètement la machine, de sorte que le Rassemblement national soit incapable d’agir. Une autre hypothèse existe : si la cohabitation devient trop violente et que le Rassemblement national veut pousser Macron à la démission, le Président peut disposer de cette arme qu’est l’article 16.

 

M. B. Si le RN a ou non la majorité absolue, l’article 16 donne donc un large pouvoir au Président ?

F. R. L’article 16 dépend de la seule volonté du Président. Seul le Conseil constitutionnel peut intervenir, au bout de 30 jours ou de 60 jours. À plusieurs reprises, Laurent Fabius, notamment lors des vœux au président de la République en janvier dernier, a expliqué que le Conseil constitutionnel serait le rempart de l’État de droit contre l’extrême droite. Le Conseil constitutionnel sera donc un allié loyal au président de la République contre une éventuelle majorité Rassemblement national. En cas de victoire du RN aux législatives, si Bardella obtient une majorité absolue, le Premier ministre sera aussi face à toute une série d’obstacles, les plus importants étant le président de la République, qui a tous les moyens de bloquer l’activité d’un Premier ministre. La nomination des très hauts fonctionnaires dépend du président de la République. Cela signifie que, par exemple, si un préfet ou un recteur d’académie ne veut pas se plier à ce que souhaite le gouvernement Bardella, personne le pourra le révoquer sans l'accord du président de la République. Le Président peut enrayer toute la machine.

 

M. B. Mais le Président lui-même se retrouverait dans une situation impossible…

F. R. Oui et non. S’il ouvre la boîte de Pandore de l’article 16, le Président gouvernera seul, avec une administration qui dépend pour la quasi-totalité de lui. Il nommera les préfets, les recteurs, les directeurs d’administration dans les ministères… Il signera les ordonnances, les décrets, les projets de loi. Une cohabitation éventuelle avec le RN ne ressemblerait pas du tout à la cohabitation relativement pacifique que nous avons eue en 1986, 1993 et 1997. Dans ces conditions, le seul moyen pour Macron de sauver la mise et son second quinquennat serait de prendre la figure du sauveur de la République, garant de l’État de droit, contre la menace de l’extrême droite.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

Vos commentaires

51 commentaires

  1. Tout ce qui est tordu est possible pour garder le pouvoir. Déjà, il ne sort plus qu’à l’étranger. les rues sur son passage sont vidées par les forces de l’ordre. Il n’accueille plus les hommes d’état à l’aéroport fut-il XI JINPING! Il ne visite ni université, ni hopital..Il a doublé sa garde rapprochée. Son nouveau gilet 3 pièces cacherait-il un gilet pare balle? Il a un bunker sous l’Elysée en projet..ou déjà commencé pour éviter les missiles, idem à Bruxelles. Il a manifestement une peur bleue qu’on « vienne le chercher ». Dur de gouverner contre son peuple! Mais d’autres ont réussi.

  2. Après chaque crise politique le citoyen découvre les « loups » de notre démocratie.
    Les pleins pouvoirs pour le Président pour contrer un coup d’Etat, une guerre, une insurrection soit! mais demain une assemblée régulièrement élue avec un premier ministre issu de la majorité de l’assemblée est une situation normale et conforme à nos institutions. Imaginer qu’E.Macron puisse utiliser cet article 16 avec la complicité du conseil constitutionnel sans limite de durée et pour créer une situation de conflit permanent serait une forfaiture contraire aux intérêts nationaux. Après celle de 2005 sur le traité Européen , imaginer que le peuple ne se révoltera pas, est une hypothèse à la fois hasardeuse et en puissance, une haute trahison. La responsabilité de la situation politique actuelle est bien le fait des majorités qui se sont succédées depuis 50 ans , rognant la capacité de nos institutions, affaiblissant les contre pouvoirs, monopolisant les postes clés par une oligarchie issue de nos grandes écoles, affaiblissant la nation par la perte insidieuse de nos souverainetés, et l’achevant dans une ruine financière et morale insurmontables. Demain le risque est grand désormais, qu’une révolte citoyenne favorise un coup d’état des ennemis du peuple et de la nation, seul prétexte à appliquer cet article 16. Machiavélique! mais pour ce président tout est possible pour satisfaire son hubris.

  3. Et si c’était le RN qui enrayait la machine infernale de Macron ? Pourquoi pas, refle hissons un peu mais cela necessite e respect total d’une discipline de fer chez les députés RN nouvellement élus. Le RN remporte haut la main les élections et se présente avec la majorité absolue à l’assemblée. Macron est donc obligé de proposer à Bardella la place de premier ministre. Patatras, celui-ci la refuse et demande à tous ses députés RN de refuser également promettant de présenter systématiquement une motion de censure à tout premier ministre qui serait nommé. Aucun gouvernement possible alors et l’affreux Macron serait obligé de démissionner même s’il utilise l’article 16 quelques dizaines de jours. Tôt ou tard dans ces conditions le RN est assuré de faire tomber ce traître à la Nation.

  4. Si le RN a une majorité et que Bardella soit empêché de gouverner et d’appliquer son programme par Macron, il faudra qu’il en appelle au peuple et que comme De gaulle, au lendemain du putsch en Algérie, il dise : « Françaises, Français, aidez-moi »…

  5. Notre constitution admet le régime dictatorial…Quel beau pays la France. Même sans article 16 j’avais déjà bien constaté une dérive totalitaire qui a même le soutien des français (pass sanitaire, confinement, censure, toute ces dernières loi de la réquisition en cas de conflit à l’interdiction de s’opposer à un traitement médical). Depuis 2020, l’UE nous montre la direction totalitaire qu’elle a prise et, aussi incroyable qu’il puisse paraître, la masse suit…Soyez-en certains, rien ne fera changer l’UE de direction car toute l’élite dominante européenne est formatée pour suivre la même voie. Et comme les français ne veulent pas entendre parler d’une sortie de l’UE alors elle peut dérouler sans encombre.

  6. il y a longtemps qu’il utilise l’article 16 sans l’avoir déclenché officiellement, les 49-3, oublier qu’il existe une assemblée nationale, et avec le larbin de Fabius qui interprète la constitution, qu’il joue à ça, et il en subira les conséquences, ils ont tous peur de l’audit des comptes, même Villepin va voter pour les antisémites, c’est donc qu’il y a de gros loups dans la machine et depuis + de 40 ans.

    • Même si on n’aime pas ça, Macron nous y pousse.
      Veut-il rester dans l’histoire comme le personnage qui a enclenché la guerre civile et pourquoi pas la 3ᵉ guerre mondiale ? Après tout, Hitler hante toujours les souvenirs et a atteint une espèce d’immortalité chez les hommes.

  7. La Constitution permet donc à un Président de gouverner contre une majorité régulièrement élue à l’Assemblée Nationale ! avec la complicité des hautes instances juridictionnelles composées de juges majoritairement de gauche ! Et la démocratie dans tout çà ? l’article 16 aboutit à un coup d’Etat ?
    Les hauts fonctionnaires civils et militaires seront ils suivis par leurs troupes ?

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