Grégor Puppinck : « Il n’est pas prudent de laisser une place à la charia en Europe au titre du pluralisme »
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La semaine dernière, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a eu à se prononcer sur l'application obligatoire de la charia au sein de la communauté musulmane de Thrace en Grèce.
Grégor Puppinck, auteur du livre Les Droits de l'homme dénaturé, réagit au micro de Boulevard Voltaire.
Dans une tribune publiée au FigaroVox, vous vous inquiétez de la position de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) vis-à-vis de la charia. Pouvez-vous nous expliquer en quelques mots les tenants de l’affaire ?
C’est une affaire très importante. Elle a été jugée par la Cour en grande Chambre, sa formation la plus solennelle. La Cour était confrontée à l’application obligatoire de la charia au sein de la communauté musulmane de Thrace en Grèce.
Jusqu’à présent, la Cour a eu quelques occasions de s’intéresser à la charia. Elle l’a fait de façon également solennelle en 2003 dans un arrêt contre la Turquie. Il s’agissait de l’annulation de la pratique politique islamiste qui voulait appliquer la charia en Turquie. La CEDH avait jugé à l’époque qu’il était légitime de dissoudre un parti politique au motif que la charia est incompatible avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Jusqu’alors, la CEDH avait adopté une position de principe forte affirmant l’incompatibilité de la charia avec les droits de l’Homme.
Dans l’arrêt de la semaine dernière, la Cour n’a pas réitéré cette affirmation de principe. Elle a choisi une voie différente. Elle a choisi l’acceptation, dans le principe, de la coexistence de plusieurs régimes juridiques, ou en tout cas, dans le principe, de l’existence d’un statut juridique spécial pour les communautés religieuses, au sein des États européens, ce qui veut dire, en d’autres termes, de la charia.
Cela présuppose-t-il un affaiblissement de nos institutions vis-à-vis de l’Islam politique et d’une forme d'acceptation de coutumes étrangères à l’Occident ?
Je pense que la CEDH avait un choix à poser dans cette affaire. Elle avait le choix de réitérer sa position de principe de 2003 en affirmant que la charia est incompatible avec la Convention. Dans ce cas, elle aurait pu condamner la Grèce et lui indiquer de se départir de cette ancienne tradition de l’application légale de la charia sur son territoire.
La Cour aurait pu le faire. Cela aurait été une position de principe basée sur une conception matérielle de l’Ordre public européen, une conception liée à la culture et aux valeurs fondamentales de l’Europe.
Elle a choisi une autre voie, une voie que l’on peut qualifier de libérale et communautariste. Elle a préféré une vision de la société au sein de laquelle pourrait coexister une diversité de communautés ayant des valeurs et des droits différents, à la seule condition que l’on puisse librement sortir de ces communautés et en changer et que les normes internes à ces communautés ne heurtent pas ce que la Cour désigne comme des ‘’intérêts importants de la société’’. Or, sur ces intérêts importants, la Cour ne dit pas grand-chose.
Certains politiques, comme Jean-Frédéric Poisson, militent pour une sortie de la CEDH. Ce genre de décisions pourrait renforcer leur position. Soutenez-vous cette idée ?
Non. Je ne soutiens pas cette option. Je suis attaché à cette institution. Je considère que l’existence d’un mécanisme de protection des droits de l’Homme au niveau européen en soi est une bonne chose. Et j’estime que le texte de la Convention Européenne des Droits de l’Homme est bon.
Il y a effectivement des décisions qui posent problème. C’est pareil dans toutes les institutions politiques. La CEDH est non seulement une juridiction, mais c’est aussi un organe qui a un rôle politique. Il est donc normal que certaines de ses décisions posent problème, soient combattues et critiquées.
Je pense qu’il est nécessaire de ramener la compréhension des Droits de l’Homme à la vision d’origine, c’est-à-dire une vision beaucoup plus humble, beaucoup moins idéologique et politique.
C’est en fait un choix de société qui se dessine à travers ces décisions. Le problème n’est pas la Cour en elle-même et les droits de l’Homme, que l’usage qui en est fait pour opter en faveur de telle ou telle conception de la société ou des mœurs tel qu’on peut le voir à travers les arrêts.
Je suis favorable à la critique, le combat intellectuel et la correction. J’estime qu’il est impératif et urgent de ramener les droits de l’Homme sur le terrain le plus solide, qui n’est pas celui du libéralisme individualiste, mais celui d’une conception humble et modeste des droits de l’Homme fondée sur la nature humaine et les droits naturels.
J’estime également que l’Europe n’est pas un territoire abstrait gouverné seulement par des valeurs abstraites et universelles. L’Europe a une culture et une richesse. Nous sommes une civilisation. Nous pouvons et devons être fiers de cette civilisation et nous devons la défendre, y compris par le droit.
Je ne crois pas du tout qu’il soit prudent ou généreux de laisser une place à la charia en Europe au titre du pluralisme. Je pense que c’est un danger pour notre civilisation. Nous pouvons garder confiance en notre civilisation. Les droits de l’Homme en font partie. Le piège d’une telle décision est de faire pénétrer l’application de normes de la charia au sein de l’Europe au nom des droits de l’Homme, et en particulier de la liberté individuelle. Par le biais du respect de la liberté individuelle et du pluralisme communautariste, on va finalement laisser entrer, de façon libérale, la charia, dans le système juridique européen au détriment de notre civilisation européenne.
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