Kaaris et Booba : quand les yéyés du rap jouent aux grands

©Arnaud Scherer, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
©Arnaud Scherer, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons

La bagarre générale, déclenchée au duty free d'Orly par les deux rappeurs Kaaris et Booba, qui a obligé les forces de l’ordre à boucler la zone et à placer les deux artistes en garde à vue, une histoire française ? Oui. Donc pas très sérieuse. Et qui ne remonte pas à hier.

Toujours la même affaire depuis que nos yéyés hexagonaux tentent d’imiter les rockers d’Amérique. Ou que les zozos du CRAN se prennent pour des Black Panthers et nos Homo festivus du Marais se projettent en héritiers politiques de leurs frères ou sœurs de Stonewall.

Car, dans les années soixante, le Black Power américain, c’est du sérieux. L’esclavage n’est pas loin et la ségrégation raciale un souvenir encore tout frais. Arrestations arbitraires par le FBI, quand il ne s’agit tout simplement pas de liquidations discrètes, tel est alors le quotidien des militants identitaires noirs. Les homosexuels y sont aussi persécutés pour de vrai : c’est après d’innombrables descentes musclées dans leurs bars de Stonewall Inn, dans le Greenwich Village new-yorkais, que la première Gay Pride voit le jour.

Il en va tout autrement de nos actuels rappeurs qui n’ont connu le Bronx new-yorkais et le South Central de Los Angeles que dans les séries télévisées. À côté, notre 93, c’est le Liechtenstein. Kaaris et Booba ? Ils s’y croient. De vrais warriors du ghetto. C’est touchant. Presque rafraîchissant.

Leurs adolescences perturbées ont été bercées par les récits des grands ancêtres. Guerre du rap West Coast contre celui de la East Coast. Tupac Shakur contre The Notorious B.I.G. Suge Knight, le ténébreux et redouté patron du label Death Row – comme le tristement célèbre couloir de la mort des prisons américaines.

Sauf que là, c’était du sérieux. Les morts se sont alors comptés par dizaines. Une véritable série noire, à tous les sens du terme. Avec flics ripoux et avocats véreux. Du Tony Montana, mais en vrai. Nos deux gugusses sont évidemment loin d’aligner de semblables états de service.

Kaaris, Okou Armand Gnakouri de son vrai nom, n’est qu’un immigré ivoirien ayant grandi à Sevran. Son titre de gloire musical ? La chanson "Kalash". Qui, à l’en croire, "a traumatisé les gens, a traumatisé le rap français, a traumatisé la street, a traumatisé tout le monde". De fait, il a surtout traumatisé ceux qui l’ont entendue, parce que, dans le genre, Public Enemy, c’était du Vivaldi. Quant au clip éponyme, façon Inconnus – « New York, Los Angeles, Boston ou Sarcelles, c’est le même destin », il semble avoir été tourné après un pari idiot perdu à la suite d’une soirée trop arrosée. D’ailleurs, petit détail qui vaut son poids de chaînes en plaqué or : entre armes automatiques en plastoc, filles aux seins en plastique et Ferrari d’un rose bonbon du plus bel effet, Kaaris y partage la vedette avec un certain… Booba.

De son côté, le pedigree de Booba n’est pas non plus au top de la "street credibility". Son père est un mannequin sénégalais et sa mère, d’origine belge, exerce la profession de greffière. Il grandit à Meudon-la-Forêt ; c’est-à-dire assez loin des Minguettes, et encore plus de Harlem. Il prétend être de « confession musulmane » pour faire taire les rumeurs qui le donnent pour « juif ». Pour mettre tout le monde d’accord, en 1997, il braque un chauffeur de taxi qui, pourtant, n’y était pour rien. Ce qui lui vaut quelques mois de prison. Au trou, il se fait alors appeler le « Duc ». Normal, c’est un poète.

Entre Kaaris et Booba, il y a encore d’autres points communs. Toujours inspirés des USA, là où les rappeurs gagnent plus d’argent en vendant des fringues que des disques, Booba lance sa propre marque, Unküt ; tandis que Kaaris crée la sienne, Jeune Riche. Tout un programme.

Mais quand leurs modèles américains, en cas de différend sérieux, alignent chacun dix gardes du corps brandissant des Uzi, histoire de retapisser les murs en rouge vif, nos deux biquets se retrouvent au duty free pour se crêper le chignon à coups de cartouches de cigarettes mentholées et de flacons de Chanel n° 5.

Pour assurer, il y a encore du boulot, les gars. Parce qu’à côté de vous, Hervé Vilard, c’est JoeyStarr.

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Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

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