Pour empêcher l’offensive syrienne, la Turquie fait pression sur les djihadistes d’Idleb

Depuis que la Turquie a envahi le nord-ouest de la Syrie pour en chasser les Kurdes, les djihadistes sont chez eux dans la province d’Idleb. Une partie d’entre eux est passée sous pavillon et financement turcs. Elle contrôle environ 30 % de la province, dont la fameuse ville d’Affrin, reprise aux Kurdes après de violents combats.

Les 70 % restants sont occupés par l’ex-branche syrienne d’Al-Qaïda (ex Front al-Nosra également), appelée en ce moment Hayat Tahrir al-Cham (HTC). Très entraînés après sept ans de guerre, bien armés, les 10.000 hommes qui composent ce groupe n’ont aucunement l’intention de passer sous contrôle turc.

Alors que l’armée syrienne préparait, cet été, une grande offensive contre Idleb, Vladimir Poutine a jugé plus prudent de l’ajourner et de parler avec Erdoğan, qui menaçait de s’opposer par la force à une éventuelle attaque syrienne.

Cet attentisme était rendu d’autant plus nécessaire que les Américains avaient averti qu’ils interviendraient contre l’armée syrienne en cas d’attaque chimique. La ficelle était un peu grosse. On sait, depuis la grande bataille de la Ghouta, la banlieue de Damas, que les islamistes possèdent d’importantes quantités de chlore et que la mise en scène d’une pseudo-attaque chimique est assez aisée. Elle l’est d’autant plus que les medias occidentaux ne sont pas très regardants sur la véracité des faits depuis le début de la guerre…

La ficelle était si grosse que les Américains ont élargi leur possibilité d’intervention au cas « de grave crise humanitaire » ! Autant dire qu’ils se réservent le droit d’intervenir où ils veulent quand ils veulent. On le savait, mais maintenant, c’est officiel.

Poutine et Erdoğan sont parvenus à un accord, le 17 septembre dernier, à Sotchi. En échange de l’annulation de l’offensive, une zone tampon de 15 à 20 km de large est créée sur le pourtour de la province. Les djihadistes devront se retirer de cette zone avec retrait définitif de leurs armes lourdes.

Les Syriens n’ont guère été enthousiasmés par cet accord qu’ils jugent trop favorable à la Turquie. Celle-ci, au fond, souhaite annexer cette province, comme elle l’avait fait, avec la complicité du Front populaire, pour le sandjak d’Alexandrette en 1937.

Mais Poutine a préféré gagner du temps, ne pas se fâcher avec Ankara et laisser Erdoğan se débrouiller avec les djihadistes. De plus, cette zone tampon permettra à ses bases de Tartous et de Hmeimim de ne plus subir d’assauts de drones.

Comme on s’en doute, HTC a refusé d’approuver cet accord. Plusieurs dirigeants de ce groupe, parmi les plus durs, ont opportunément été assassinés depuis, d’autres ont été arrêtés et croupissent dans les geôles d’Idleb. Les djihadistes, sachant qu’ils ne sortiraient pas vivants d’un bras de fer avec les Turcs, ont alors commencé leur retrait.

Les Occidentaux observent avec inquiétude cette bonne entente russo-turque et ont brocardé cet accord. De toute façon, leur voix ne compte guère. C’est Damas qui est amer. Et Bachar a rappelé que tout cela n’était que provisoire et qu’Idleb serait, un jour, reconquise par l’armée syrienne.

Le dossier est loin d’être clos.

Cet article a été mis à jour pour la dernière fois le 09/01/2020 à 21:01.
Antoine de Lacoste
Antoine de Lacoste
Conférencier spécialiste du Moyen-Orient

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