Procès Salah Abdeslam : et si l’État de droit dans sa pureté, à l’égard de certains, n’était pas une magnifique absurdité ?

En suivant les débuts du procès correctionnel de Salah Abdeslam à Bruxelles, je n'ai pas pu m'empêcher d'avoir une pensée malsaine et de formuler une indécente interrogation.

Et si l'État de droit dans sa pureté, et à l'égard de certains, n'était pas une magnifique absurdité ?

Salah Abdeslam comparaît pour une tentative de meurtre dans un contexte terroriste et possession d'armes à feu le 15 mars 2016 à Forest. Il sera arrêté le 18 mars à Molenbeek après une fuite de quatre mois (Le Figaro).

Aussi bien à Paris qu'en Belgique, depuis, il se tait et refuse de répondre aux questions. C'est son droit.

L'énorme appareil aussi bien pénitentiaire que pour ses transferts et sa comparution qui a dû être mis en place, par crainte qu'il échappe à la Justice et prive tous ceux qui attendaient, espéraient son procès bruxellois avant celui, bientôt, de Paris pour les attentats du mois de novembre 2015, fait de lui paradoxalement le détenu le plus surveillé de France mais aussi le plus protégé.

On a déjà le sentiment d'un trop-plein, d'une surabondance de moyens et de précautions. Quelle importance cela lui donne !

On est haletant après ses premiers mots, ses déclarations alors qu'à l'évidence, sauf à souligner que son silence ne le rend pas coupable, il va continuer son mutisme qui le place en position de force et ceux qu'il déteste, ceux qui le jugent, en situation de totale infériorité. Persévérer dans une attitude qui lui permet de gouverner et qui fait de l'ensemble de l'univers judiciaire ses obligés.

Avec quelle délicatesse on entreprend de le persuader de parler mais on n'a droit qu'à une profession de foi islamiste !

Je ne doute pas qu'on va exceller avec une démarche processuelle toute de qualité, d'urbanité et de patience et que lui-même, en son for intérieur, se félicitera d'un État de droit qui se ridiculise en lui étant si généreusement octroyé avec des garanties qui le dorlotent sans qu'il les ait véritablement demandées. Comme s'il était un prévenu lambda. Sincèrement désireux de ne pas retomber dans l'horreur terroriste. Accordé aujourd'hui avec nos principes démocratiques.

Alors qu'il est demeuré le même et que sa haine est entière face à notre tendresse démocratique unilatérale.

On va rétorquer que le respect absolu de l'État de droit est une leçon qu'on va lui donner. Je n'y crois pas une seconde. C'est seulement une bonne conscience pour ceux qui vont être appelés à statuer sur des crimes au plus haut de la gravité.

Est-on assez naïf pour prêter à Salah Abdeslam des sentiments admiratifs face à notre masochisme républicain qui s'acharne à lui prodiguer des grâces quand lui, probablement, si un cataclysme se produisait, n'aurait pour seule obsession que de reprendre les armes contre nous ?

L'État de droit est une ascèse, un tour de force, un miracle dans de telles circonstances.

Je le répète : une absurdité magnifique.

L'humanisme même le plus combatif n'a pas d'autre choix. Mais, par pitié, qu'on cesse de se vanter comme d'une force de ce qui révèle, pour Salah Abdeslam, de notre part, une profonde faiblesse.

À ses yeux on se ridiculise. Peut-on, une bonne fois pour toutes, décider si c'est vraiment notre honneur ?

Philippe Bilger
Philippe Bilger
Magistrat honoraire - Magistrat honoraire et président de l'Institut de la parole

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