Le Quai d’Orsay debout contre l’intelligence
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La grande difficulté, pour un écrivain si mal en cour qu'il doit gagner sa vie comme domestique, consiste à recevoir d'autres écrivains sans qu'ils lui tendent leur manteau.
Le ministère des Affaires étrangères désignait, chaque saison, des écrivains officiels, donc obligatoires, comme Jean Echenoz, qui fut un peu le Maxime Gorki de la France d'avant le désastre, et dont le profil de vieil étudiant figurait sur toutes ses brochures. L'ambassade prétendit me les envoyer de force. Mon adjoint recueillit leur manteau à ma place. Ces soirs-là, je conjurais la tentation de la rancœur en écrivant pour moi-même à la trattoria du coin, et en essayant de me convaincre que personne n'était mon ennemi. La traduction de mon dernier livre devait paraître à Rome. Je me disais que l'ambassade me témoignerait à cette occasion plus d'égards.
Mars arriva. Le bulletin mensuel des traductions édité par l'ambassade, un simple feuillet envoyé à travers le pays pour signaler la parution des livres d'origine française, ne mentionna pas le titre du mien. J'essayai de faire réparer cet oubli. La mention ne parut jamais.
Une revue littéraire de Padoue m'invita, un journaliste milanais m'interrogea. J'avais écrit un roman sur les années milanaises de Léonard, roman qui avait connu des ventes convenables en France. Ce roman était donc désormais traduit en Italien. Il se trouve qu'entre-temps j'avais pris la direction du Centre culturel de Milan, situé en face de la Dernière Cène dans la ville que j'avais décrite au XVIe siècle. Il y avait certainement matière à organiser une conférence dont je ne pouvais pas prendre, moi-même, l'initiative.
Mais la France détourna les yeux. Soit ! me dis-je, puisque je suis trop négligeable pour faire l'objet d'une mention, fût-elle de politesse, trouvons quelqu'un à honorer qui soit connu en Italie, dont les opinions n'offensent personne et dont la presse française vante les mérites avec unanimité.
J'en trouvai un, Benoît Duteurtre. Ses livres me réjouissaient depuis longtemps, il était traduit à Milan, un éditeur italien l'avait pris sous son aile, je le pris sous la mienne. Il prit l'avion, répondit aux questions de la presse, et son livre fit l'objet de plusieurs articles.
Eh bien ! Le bulletin des parutions de l'ambassade de France n'en fit pas mention non plus. Il ne faisait pas partie des auteurs recommandés par le ministère des Affaires étrangères à raison de leur conformité idéologique. La France culturelle officielle va systématiquement à l'encontre des choix de sa clientèle étrangère majoritaire pour communier, dans chaque pays, avec le journal qui représente plutôt la Gauche élitiste, soit le Guardian en Angleterre, La Repubblica en Italie. Quant aux éditeurs, c'est pareil. Les Affaires étrangères ont trois éditeurs français favoris, généralement ceux qui correspondent à la ligne socialiste depuis quarante ans quel que soit le régime. Certains livres auront beau s'être très bien vendus en France, ils ne seront ni promus ni achetés par les bibliothèques du réseau.
Il existe dans notre pays deux versants de la vie de l'esprit. Sur le premier se rassemblent les artistes, danseurs, théâtreux, romanciers, commentateurs qui ont recours à l'appui permanent de l'administration française. Sur l'autre s'accrochent ceux qui en sont dédaignés ou n'en ont pas besoin. À l'étranger, ceux qui n'ont pas besoin de la France sont grossièrement ceux qui la font vivre : on les traduit, leurs films ou leurs livres se vendent, donc le ministère des Affaires étrangères ne souhaite pas s'en occuper. Il répète à l'envi : « Ils n'ont pas besoin de nous. » Il cherche plutôt à imposer ceux qui se disent rebelles, modernes, en rupture, en recherche, qui réinventent le langage tous les matins, qui composent des livres dont l'héroïne est une truie ou qui écrivent la vie de Maurice Ravel à l'aide d'un vocabulaire de quarante mots.
L'opération se solde presque toujours par un échec hors de nos frontières.
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