Si Le Pen est un salaud…

"Alors ceux qui votent pour lui sont des salauds !", déclarait bruyamment Bernard Tapie en 1992. La formule faisait scandale moins par son hypothèse que par sa conclusion, car la question n’était pas de savoir si Jean-Marie Le Pen était un salaud, mais si le raisonnement était valide. Vingt-cinq ans plus tard, ce n’est plus au sujet du FN qu’une question de ce type se pose, mais au sujet d’un petit candidat que les sondages placent en très bonne position.

Le choc de cette élection, c’est assurément la position d’Emmanuel Macron dans les intentions de vote alors qu’il n’aligne objectivement que des handicaps. D’abord, son mouvement créé il y a un an ne compte aucun adhérent mais des soutiens sans cotisations, ce qui en fait – de fait – un petit candidat puisqu’il ne dispose ni de parti, ni de base, ni d’adhésions, ni de militants, ni d’élus. Ensuite, lorsque le grand public apprend l’existence de Macron il y a à peine trois ans, il découvre que c’est un ministre de Hollande qui plaide pour une version beaucoup plus radicale de la loi Travail, ou encore qu’il est l’auteur de la vente d’Alstom aux Américains. Finalement, les Français comprennent que la seule expérience politique de Macron aura été au service de Hollande et de Valls.

Or, le premier, rejeté par 85 % des Français, ne pouvait pas se représenter sauf à passer – officiellement, cette fois – pour le fossoyeur du Parti socialiste ; quant au second, il était mis à la poubelle des primaires socialistes avec un score montrant que, face à lui, une chèvre aurait gagné, ce qui se produisit effectivement. Pouvait-on imaginer pire handicap que d’être l’auteur ou le complice de lois détestées en étant, de plus, le chouchou d’un Président méprisé et d’un premier ministre haï, tous deux emblèmes du quinquennat le plus calamiteux de la Cinquième République ?

Mais contre toute attente, les sondés continuaient à l’encourager. Les handicaps de bébé Macron ne s’arrêtaient pas là puisque, de son berceau, il voyait aussi se pencher sur lui les vieilles fées Bergé, Attali, Minc, Delanoë ou BHL qui en faisaient leur petit favori. Cela aurait dû suffire à faire passer les intentions de vote dans le négatif, mais les sondés se montrèrent sourds à toute preuve d’un minimum de bon sens, et même l’arrivée des stars déchues comme Bayrou, Cohn-Bendit, Madelin ou Robert Hue, toutes avides d’un petit poste et plus ringardes les unes que les autres, les laissait de marbre. Quant aux meetings où le candidat lance des slogans comme « Pensez printemps ! » dans des postures de télévangéliste, on préfère encore penser que pas un seul sondé n’y a assisté.

Alors, si Macron est amoureux de la mondialisation, de la finance et de l’ubérisation de la société, s’il est l’enfant caché de Hollande, s’il veut une transformation radicale du Code du travail par ordonnances, s’il ne connaît aucune civilisation et ne reconnait aucune culture, s’il déteste les frontières et ne voit pas de limites aux transformations de la famille qui laissent parfaitement imaginer que, bientôt, une famille de trois pères pourra louer un ventre en Inde, si Macron est bien tout ça, que dire de ses électeurs ? Sont-ils des salauds ou des abrutis ?

Michel Segal
Michel Segal
Professeur de mathématiques

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