Turquie : Saint-Sauveur-in-Chora transformée en mosquée

Les voûtes de l’église Saint-Sauveur-in-Chora. © Wikipedia Antonio cali 66
https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/
Les voûtes de l’église Saint-Sauveur-in-Chora. © Wikipedia Antonio cali 66 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/

Si, en cas de guerre, les premières victimes sont généralement ces plans d’état-major concoctés par de brillants officiers et la couverture médiatique de journalistes pas toujours au fait des réalités, il en existe une troisième : les édifices religieux. Surtout quand les guerres en question se mènent sur fond de luttes confessionnelles. On l’a vu avec la mosquée de Cordoue, chef-d’œuvre d’art islamique andalou, plus ou moins transformée en cathédrale. Soit une sorte de « moscathédrale », certes rendue au culte catholique, mais devenue insulte aux lois les plus élémentaires de l’architecture. Fallait-il la raser et tout reconstruire ? C’était une option. Ou tout laisser en l’état ? C’en était une autre ; mais le choix de l’entre-deux ne fut pas le plus esthétique, on en conviendra.

Pis : même si ces conflits ne sont plus, ils continuent de perdurer. Ainsi, en Turquie, l’église byzantine Saint-Sauveur-in-Chora, reconvertie en mosquée en 1495, avant de l’être en musée, en 1945, redevient à nouveau musulmane, à l’été 2020, « grâce » au président Recep Tayyip Erdoğan. Après quatre longues années de travaux, elle a rouvert ses portes aux musulmans, ce 6 mai.

La question cruciale des mosaïques

Le problème que se posent alors les amateurs d’art religieux et les défenseurs du patrimoine est le suivant : quid de ses mosaïques multiséculaires représentant Jésus-Christ ou la Vierge Marie ? Les Ottomans n’étant pas des talibans, au lieu de les détruire, ils ont choisi de les masquer durant les heures de prière, mais de les laisser visibles le reste du temps, tel que confirmé par le quotidien francophone libanais L’Orient-Le Jour, citant un chercheur français de passage sur les lieux : « J’avais eu l’occasion de visiter l’endroit avant et j’avais initialement eu un peu peur des travaux et de la reconversion, mais il faut reconnaître que les fresques sont accessibles à tout le monde. Je suis rassuré et très content. »

Il est vrai que cette basilique, tout comme celle de Sainte-Sophie, sont classées au patrimoine de l’UNESCO. Pour cette dernière, l’histoire est à peu près la même : reconvertie en mosquée, lors de la chute de Constantinople, en 1453, elle devient musée en 1934 après avoir manqué d’être dynamitée en 1918, à l’occasion de l’effondrement de ce qui demeurait d’Empire ottoman. Le 18 juillet 2020, elle redevient finalement mosquée. Enfin, pas tout à fait, sachant que ses mosaïques, après avoir été longuement rénovées par l’État turc, ont donc vocation à être préservées.

Un Coran alternatif ?

La preuve en est qu’Ibrahim Kalin, porte-parole du néo-sultan Erdoğan, affirme : « Certaines mosaïques représentant Marie et l’archange Gabriel, placées en direction de la Qibla [la direction de la Kaaba, à La Mecque, NDLR], où les musulmans se tournent pendant la prière, seront dissimulées derrière des rideaux. […] Mais d’autres mosaïques de Jésus et autres figures chrétiennes ne constituent pas un obstacle pour la prière des musulmans car elles ne sont pas situées dans la direction de la Qibla. Elles n’ont donc pas vocation à être recouvertes. » Entre subtilités ottomanes et byzantines, il n’est pas incongru d’y voir une sorte de filiation. Le Coran alternatif, en quelque sorte.

Ce, d’autant plus que dans cet Orient tant musulman que commerçant, les affaires finissent tôt ou tard par avoir le dessus. Certes passée du statut de musée à celui de mosquée, la basilique Sainte-Sophie n’en a pas abandonné pour autant sa vocation de musée ; à ce petit détail près que l’entrée, autrefois gratuite, est désormais divisée entre deux portes distinctes, l’une gratuite pour les fidèles et l’autre payante pour les touristes. Et, histoire d’assurer un flux continu, le rez-de-chaussée est réservé à la prière, sauf entre les offices, tandis que les étages supérieurs le sont aux simples visiteurs.

Cité par France Info, le chercheur Jean-François Pérouse affirme : « C’est le principe de réalité. La raison économique prend le dessus. » Une réalité d’autant plus complexe que si les touristes musulmans peuvent entrer sans payer, les non-musulmans doivent s’acquitter d’un ticket d’entrée. Toujours selon la même source, Muharrem, un Turc qui vend des simits, ces petits pains turcs typiques, s’interroge : « Il y a des gardes à l’entrée qui vont faire le tri. Ils poseront quelques questions pour savoir si les gens savent prier, s’ils savent faire leurs ablutions. […] Pour moi, ce serait mieux qu’elle soit entièrement reconvertie en musée. D’abord, cela peut aider les finances de l’État [la rénovation de la basilique-mosquée-musée atteint des budgets pharaoniques, NDLR] et puis, il y a déjà assez de mosquées à Istanbul. Tout ça n’est pas très bon pour mes affaires ! »

De son côté, Recep Tayyip Erdoğan n’a jamais manqué d’avoir plusieurs fers au feu, comme en témoigne l’inauguration, en février 2023, de l’église Saint-Ephrem, la première construite à Istanbul depuis un siècle. Et le même de rappeler que, depuis son arrivée au pouvoir, il y a vingt ans, « vingt églises avaient été rénovées ». Il est vrai qu’au début de son règne, il avait eu l’intelligence de s’appuyer sur la minorité chrétienne, même si ne représentant que 0,2 % de la population. En Orient, et aujourd’hui plus que jamais, rien n’a jamais été vraiment simple.

Nicolas Gauthier
Nicolas Gauthier
Journaliste à BV, écrivain

Vos commentaires

12 commentaires

  1. Réponse à J.L Mazières…Le rapport musulmans/chrétiensOK…Comment tolérer dans ce cas que les Turques et Erdogan financent l’implantation d’un nombre incalculable de mosquées en France ? Le rapport précédent est en faveur pour le moment!! des chrétiens ! Essayer en plus de construire une église en Turquie ou dans n’importe quel pays arabe ….Le bon peuple Français et Européen construit sa tombe petit à petit !

  2. C’est normal, la Turquie est un pays musulman. On évalue le nombre de chrétiens en Turquie entre 150.000 et 400.000 sur une population totale de 85 millions d’habitants !!!

    • Historiquement, la Turquie est un pays chrétien grec et arménien envahi par les Turcs musulmans qui en ont chassé par les armes les populations autochtones (et accessoirement massacré les récalcitrants). C’est un fait indiscutable quel que soit le discours « moderniste ».

  3. Vous qui pour des motifs divers avez manifesté votre attachement à ND de Paris, prenez donc le temps de lire cet article en pensant que rien de ce qui arrive ailleurs ne peut être exclus chez nous…

  4. C’est mieux que de détruire des églises avec des bombes pour des prétextes faux. Mais bon, chaque culture a ses défauts et ses qualités.

  5. Je ne vais pas critiquer ce que fait la Turquie chez elle, même si ça m’attriste, mais au contraire, ce que nous laissons faire chez nous, sans broncher, de la part de ces adeptes d’amour et de paix.

    • d’accord avec vous. Toutefois, il existe un long passé historique sur la terre d’Asie Mineure ( royaume de Constantinople) : Faudrait il que les Chrétiens s’enterrent, comme en Ethiopie ou en actuelle Jordanie, ou laissent leurs églises souillées – saccagées, comme sur la terre de St Augustin ?

      • Non, non, ça m’attriste beaucoup et je soutiens les chrétiens d’orient, mais hélas, nous n’avons plus aucun moyen de les défendre, ni économiques, ni diplomatiques, ni militaires alors soyons lucides et essayons au moins de préserver ce qui reste « encore » sur notre sol. Cordialement.

  6. « l’entrée, autrefois gratuite, est désormais divisée entre deux portes distinctes, l’une gratuite pour les fidèles et l’autre payante pour les touristes »…quoi de plus naturel que de faire payer les dhimmis !
    Et si on faisait la même chose à l’entrée des cathédrales ?

  7. Personnellement je trouve la mosquée cathédrale de Cordoue fantastique et magnifiquement adaptée reflétant une page d’histoire et préservant le “bon” côté de l’islam. Il en est si peu. Nos architectes français font bien pire dans le moderne ou avec les colonnes de Buren ou le centre Pompidou aprs avoir réservé Les Halles quand en GB on rénove sans détruire ni jourater des verrues modernistes. (v La Chapelle de l’université de Lille) En France les catho bobos préfère déconstruire (euphémisme)

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