Venantino Venantini : le dernier Tonton flingué
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Avec la mort de Venantino Venantini, ce n’est plus une page qui se tourne mais un monde qui s’en va. Si l’homme était italien, c’est dans un film éminemment français, Les Tontons flingueurs, qu’il aura à jamais marqué les mémoires. De cet Himalaya pelliculaire, il était l’ultime survivant.
En 1963, quand sort cette très libre adaptation d’un roman d’Albert Simonin, signée de Georges Lautner, on parle assez peu d’Europe, même si les producteurs d’alors sont en train d’y donner forme sur grand écran. D’où le casting incongru de cette coproduction franco-germano-italienne : Horst Frank en ancien combattant du camp des perdants et la très jolie Patricia, filleule de Lino Ventura, interprétée par Sabine Sinjen, autre Allemande dont le français est si hésitant qu’elle sera finalement doublée par Valérie Lagrange, starlette du cinéma populaire et égérie du gauchisme des années soixante, l’une des plus lucides de la bande, tel qu’en témoigne le tube ayant signé son retour, en 1980 : "Faut plus me la faire".
Mais revenons-en à notre Venantino Venantini et à ses Tontons flingueurs. Il y incarne Pascal, le tueur à la gâchette aussi sensible que les états d’âme. Ce sera le premier d’une longue série de rôles d’assassin, carrière dont le point culminant sera celui du sicaire bègue du Corniaud, de Gérard Oury. Étrange, pour cet homme qui se destinait à devenir peintre et dont les œuvres ne furent finalement exposées à Paris qu’en 2015. En l’intervalle, il aura prêté sa prestance canaille à quelques centaines de films et autant de téléfilms. Pas mal, pour un homme qui ne rêvait pas forcément de devenir acteur
Un monde s’en va, disions-nous. C’est vrai pour cette Europe qui s’incarnait naguère en d’emblématiques projets, le Concorde et l’Eurovision, l’Aérospatiale et Intervilles, avant de devenir technocratique. Ça l’est plus encore pour la liberté de penser et de parler qui semblait être la norme en cette époque reculée, avant ces temps de progressisme échevelé.
Ainsi, Les Tontons n’aiment guère les tantes : "Chez moi, quand les hommes parlent, les gonzesses se taillent", lance le Mexicain sur son lit de mort, à l’adresse de Horst Frank et de son mignon. On notera, d’ailleurs, que ce couple, précurseur en matière de mariage pour tous, n’est même pas questionné sur son passé modérément démocrate.
La preuve ? Lino Ventura : "C’est quand même marrant, l’évolution. Quand je l’ai connu, le Mexicain, il recrutait pas chez Tonton." Venantino Venantini : "Vous savez ce que c’est, non ? L’âge, l’éloignement… À la fin de sa vie, il s’était penché sur le reclassement des légionnaires." Lino Ventura : "Ah ! Si c’est une œuvre, alors là, c’est autre chose !"
De même, ce fort peu hygiéniste hymne à la dive boutanche et à l’herbe de ce bon docteur Nicot présente le proxénétisme en bande organisée et l’exploitation des femmes sous des atours étonnamment complaisants. Mado, tenancière de claque, jouée par la fort replète Dominique Davray : "Une bonne pensionnaire, ça devient plus rare qu’une femme de ménage. Ces dames s’exportent, le mirage africain nous fait un tort terrible ; et si ça continue, elles iront à Tombouctou à la nage." Et on vous passe les considérations de pithécanthrope proférées par Lino Ventura sur l’art conceptuel quant aux œuvres visionnaires d’Antoine, magnifique Claude Rich en parfaite roue libre lorsqu’il évoque la recherche éperdue de "l’anti-accord absolu" ; c’est-à-dire des bruits de robinets qui fuient. Iannis Xenakis et François Valéry n’ont pas accompli mieux depuis.
Tout cela pour rappeler que les bobos qui se lamentent en se lissant la barbe et vérifiant que leur quinoa ait été servi sans gluten, sur le thème voulant que « désormais, on ne peut plus rien dire », seraient terrifiés si un tel film était tourné aujourd’hui. Tout comme ils seraient proprement dévastés par la vision d’une Cage aux folles, d’un Père Noël est une ordure, autres monuments de racisme sournois, d’homophobie triomphante et de poilade libertaire.
Venantino Venantini était loin de tout cela. Tel que lui disait son cousin dans Les Tontons flingueurs à propos d’un flingue fraîchement acquis : "Le prix s’oublie, la qualité reste !" C’est peut-être aussi pourquoi il restera longtemps cher au cœur des cinéphiles.
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