100 millions au Liban : Macron et son terrain de jeu « à l’international »

Capture d'écran Présidence de la République
Capture d'écran Présidence de la République

La France va donc donner 100 millions au Liban. Pas question de remettre en cause l’opportunité de cette aide à ce pays ami, sous réserve, bien évidemment, de se poser les bonnes questions, comme l’a fait, jeudi, Gabrielle Cluzel dans son éditorial, notamment si cet argent ira bien où il doit aller. En revanche, cette annonce d’Emmanuel Macron amène une tout autre question : celle du fonctionnement de nos institutions, en cette période de cohabitation inédite et au moment même où la représentation nationale débat sur le projet de loi de finances 2025 qui devrait se traduire, nous dit-on, par un effort d’économies inédit. En effet, que dit notre Constitution ? « Le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation. » Constitutionnellement parlant, il n’y a donc pas de domaine réservé et c’est l’usage des trois précédentes cohabitations, sous François Mitterrand puis Jacques Chirac, qui a instillé l'idée qu’il y en aurait un. Rien n’est écrit et tout est question de circonstances et d’hommes.

Au temps des cohabitations Mitterrand-Chirac et Chirac-Jospin

On se souvient de la participation conjointe de François Mitterrand et de Jacques Chirac au sommet du G7 de Tokyo, en mai 1986, moins de deux mois après l’entrée en cohabitation. Le Premier ministre avait tenu à participer à ce sommet. Il s’agissait, certes, de montrer vis-à-vis de l’étranger que cette cohabitation n’affaiblissait en rien le pouvoir et la voix de la France dans le monde, mais aussi, pour celui qui avait été candidat à l’élection présidentielle et qui aspirait à l’être de nouveau, qu’il comptait ne pas laisser au président de la République l’exclusivité de la politique internationale, qu'il ne se contenterait pas de rester aux fourneaux ancillaires de la politique intérieure. François Mitterrand, lors de la conférence de presse qu’il donna à la fin de ce sommet, avec à ses côtés Jacques Chirac, résuma cependant cette sorte de dyarchie en déclarant, histoire de couper court aux polémiques : « Il n’y a qu’une voix de la France. »

Autres circonstances, autres hommes : février 2000, au temps de la cohabitation du Président Chirac avec le Premier ministre Jospin. Ce dernier se rend en Israël. Un voyage qui avait pour but de tourner la page du contentieux né avec la guerre des Six Jours : il s'agissait de « retrouver la vigueur et la dynamique qui avaient souffert de 1967 », avait alors confié un diplomate à Libération. On l’a oublié, mais cette visite ouvrit une petite crise au sommet de l’État, lorsque Lionel Jospin qualifia, durant cette visite, les actions du Hezbollah (déjà lui !) sur le territoire d’Israël d’« attaques terroristes », s’attirant ainsi les foudres du Premier ministre libanais, du monde arabe et… de Chirac, lequel aurait demandé à son Premier ministre de « prendre contact avec lui dès son retour en France ». Entre parenthèses, des propos qui, à l’époque, avaient été qualifiés par certains journalistes français de « malheureux »… François Hollande, Premier secrétaire du PS, sur cette intrusion du Premier ministre de cohabitation sur le « terrain de jeu international », avait déclaré : « Il n'y a pas de domaine réservé, il y a des domaines partagés et il fallait, dans ce déplacement, que Lionel Jospin dise sa position personnelle. »

Certes, Barnier est très occupé aux affaires intérieures...

Ces quelques rappels historiques pour en venir à la situation actuelle avec nos cent millions royalement octroyés par Emmanuel Macron lors de ce sommet pour le Liban. On espère seulement que cette somme n’est pas sortie du chapeau magique d’Emmanuel Macron, que le gouvernement Barnier a donné son aval et, accessoirement, qu’il reste quelques crédits (nous sommes en fin d’exercice budgétaire) pour l’année 2024 sur les différents programmes du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. À titre indicatif et pour montrer que cette somme de 100 millions n’est pas anodine, le programme 209 de ce ministère, intitulé « Solidarité avec les pays en développement », prévoyait au PLF 2024 900 millions d’euros, dont 270 millions d'euros pour abonder la réserve pour crises majeures. Certes, Michel Barnier est actuellement très occupé aux affaires intérieures et sans doute à réfléchir au moment où il devra actionner le 49.3 pour faire passer son budget. Certes, son ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot (un macroniste !), assistait Macron à cette conférence pour le Liban. Certes. Mais un deal a-t-il été passé avec le président de la République pour que ce dernier continue à se servir de l'international comme son terrain de jeu personnel ? On radote, mais « le gouvernement détermine et conduit la politique de la nation »...

Georges Michel
Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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