11 Novembre : un siècle de chaos mental
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Des historiens ou sociologues cherchant un sujet devraient s'intéresser aux enfants des combattants de 14-18. Ils ont plus de 70 ans. En écrivant ces lignes j'ai sous les yeux la petite plaque ovale d'aluminium où est gravé le nom de mon père, sa ville, l'année : 1915. Il avait 17 ans. Les enfants des survivants ont des choses à dire. Leur enfance a été imprégnée de dits et non-dits, de façons de faire, de parler, de penser, d'être aimés... Le regard que nous portions sur ces héros modestes et quotidiens nous a profondément façonnés. Parler de son père, ce n'est pas comme évoquer son grand-père, voire un arrière-grand-père qu'on n'a pas connu.
1918, c'est aussi un repère pour les familles françaises dites "de souche". Des noms sur les monuments. 1918 confère un droit et un devoir plus forts que la simple nationalité. Loin du cirque parisien, dans mon village des hauts plateaux, on a lu, dimanche, l'appel aux morts (la moitié des pères, frères et fils du village) et la foule de la France vraie, qui n'a pas perdu sa dignité ni sa mémoire, a murmuré, émue, à chaque nom : "Mort pour la France". Le Rouergue immémorial n'a pas oublié, non plus, que le meilleur des généraux français (Castelnau, selon les Allemands), qui a pleuré ses trois fils, a été privé du maréchalat par le "père l'armistice", qui lui reprochait d'être catholique. Alors que Joffre, en dépit de ses cafouillages de 1914…
Le 11 novembre 1918, s'il a permis que nous soyons tous engendrés, a été vivement critiqué ; mais ces critiques ont été oubliées. La grande majorité des anciens combattants (je suis témoin) disaient avoir été trahis. L'Allemagne de 18 était sur le point de s'écrouler militairement et politiquement, mais elle n'a pas subi la guerre ni l'occupation sur son sol. Le grand historien Bainville avait très exactement décrit, dès 1920 (Les conséquences politiques de la paix), le processus qui conduirait à la Seconde Guerre mondiale. Une France, exsangue, de 43 millions d'habitants allait s'effondrer face à 80 millions de Germains. Le grand économiste Étienne Mantoux, mort en héros le 30 avril 1945 dans les derniers combats en Allemagne, qui gît dans une tombe oubliée du Père-Lachaise, a démontré que le réarmement forcené de l'Allemagne a coûté sept fois plus cher que les réparations du désastreux traité de Versailles, largement impayées (The Carthaginian Peace, or the Economic Consequences of Mr. Keynes). Keynes s'est trompé sur tout. N'ayant pas combattu, il avait survécu, lui, dans son bureau du Trésor, où il milita contre l'accroissement de l'effort de guerre britannique pour ne pas gêner le business et la finance...
Le traité de Versailles entérina aussi les accords Sykes-Picot qui débouchèrent sur la défaite française en Cilicie et continuent, cent ans après, à entretenir les massacres au Moyen-Orient. 1918, c'est, enfin, la prise de pouvoir des USA sur le monde, dans le droit fil des 14 points de Wilson.
Ce 11 novembre 2018 laisse, lui, un goût de bile. Nos alliés lors du conflit sont dans l'ombre ou dans l'opprobre dispensés depuis l’Élysée (Serbie, Royaume-Uni, USA, Russie, Italie, et Pologne tirée du néant) ; nos pires ennemis du passé (Allemagne, Turquie) sont courtisés. La scénographie bobo a remplacé la gravité de l'Histoire (on n'oubliera pas le désolant happening de Hollande sur les tombes de Verdun). Désormais, le chaos mental français devient énorme. Chacun veut en être. Dimanche soir, toutes mèches dehors, un ancien ministre mondain, ravi de montrer sa proximité à un vieux rentier intellectuellement indigent de l'agitation politique, a répété plusieurs fois (sur LCI) : "Je ne suis pas patriote… puisque j'aime la musique allemande." Il se dit philosophe. Le discours lu par tous les maires de France contenait une erreur d'école primaire et d'histoire. De 1914 à 1918, ce sont bien cinq ans de guerre et pas quatre, sans parler de son prolongement en Europe centrale et en Turquie. On a dû subir des rafales de jugements péremptoires et bâclés sur la vanité de la guerre, les méchants Français, les pauvres Allemands qui ont tant souffert, les pauvres mutins, les malheureux supplétifs des troupes coloniales, et des concours scolaires le plus souvent débiles, et enfin des couplets pas vraiment nuancés sur les risques que l'Europe encourt du fait des montées PERNAX (populistes, extrémistes, racistes, nationalistes, antisémites, xénophobes).
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