120 ans de Port-Arthur, un prélude aux hécatombes du XXe siècle

Destroying Russian ships and town -- terrific rain of great Japanese shells - in Port Arthur by Underwood & Underwood
Destroying Russian ships and town -- terrific rain of great Japanese shells - in Port Arthur by Underwood & Underwood

Au début de janvier 1905, un véritable coup de tonnerre frappe l’Occident. L’Empire de Russie, à la réputation d’invincibilité, vient de subir une cuisante défaite face à un ennemi sous-estimé et considéré comme inférieur. En effet, la prise de Port-Arthur, situé en Mandchourie, par les Japonais marque un tournant dans l'Histoire militaire et géopolitique du XXe siècle. Cet événement, survenu il y a 120 ans, illustre non seulement la montée en puissance du Japon comme acteur militaire majeur, mais préfigure également les stratégies et pertes colossales des conflits mondiaux à venir.

Un long siège

Port-Arthur, situé sur la péninsule de Liaodong en Chine, est, au début du XXe siècle, une base navale stratégique pour la Russie du tsar Nicolas II. En dépit de la forte présence militaire russe, le Japon déclare la guerre en février 1904, après des années de tensions sur le contrôle de la Mandchourie et de la Corée. Port-Arthur est alors un objectif prioritaire, car sa capture permettrait au Japon de priver la Russie d’un port d’attache important, point clé de son influence en Extrême-Orient. Ainsi, la flotte japonaise, commandée par l’amiral Tōgō Heihachirō, attaque par surprise les navires russes encore ancrés à Port-Arthur. Cependant, cette attaque surprise, préfigurant celle de Pearl Harbor en 1941, échoue et contraint les Russes à rester retranchés dans le port. Face à cet échec naval, le général Nogi Maresuke décide alors de mener un siège terrestre en août 1904 afin d’obtenir la reddition des forces russes. Les forces japonaises lancent, ainsi, de nombreuses attaques répétées contre les positions fortifiées de Port-Arthur, mais au prix de lourdes pertes humaines. Selon Paolo Cau, spécialiste de l'Histoire militaire, dans son ouvrage Les 100 plus grandes batailles de l'Histoire, le Japon aurait perdu plus de 60.000 soldats, sur les 90.000 engagés, à la fin du conflit, en janvier 1905. Ces pertes élevées préfigurent alors la nature éreintante des conflits du XXe siècle, marqués par des batailles prolongées, des sièges dévastateurs et un coût humain colossal.

Néanmoins, malgré leur résistance acharnée, les Russes, commandés par le général Anatoly Stössel, commencent à faiblir et n’espèrent qu’une seule chose : voir arriver la flotte de la Baltique, qui pourrait les ravitailler et, surtout, les libérer du terrible étau japonais. Maresuke est également conscient de cela et cherche une nouvelle stratégie afin d’accélérer la chute de Port-Arthur.

Défaite et désillusions

En évaluant les fortifications russes et la topographie du terrain, Maresuke identifie la colline de la « cote 203 » comme un point stratégique vulnérable. En novembre 1904, il lance alors une offensive coûteuse entraînant la mort de 8.000 de ses soldats et qui aboutit, le 6 décembre, à la capture de cette position clé. Désormais maîtresse de cette colline, l’artillerie japonaise peut bombarder efficacement les navires russes bloqués dans le port ainsi que les dernières défenses ennemies, grâce à des obusiers de 280 mm pouvant envoyer des obus de 225 kg à plus de 9 kilomètres. Face à cette pression incessante, l’armée du tsar, héritière des victoires contre Napoléon, accepte de capituler le 2 janvier 1905 face au Japon. Cette reddition ébranle alors le prestige militaire de la Russie et accélère son déclin en Extrême-Orient. Pour le Japon, cette victoire consolide sa position comme première puissance asiatique moderne et met en lumière l’efficacité de son organisation militaire. Elle signale aux puissances occidentales que le Japon est un adversaire redoutable, capable de rivaliser avec elles.

Une prophétie pour les temps à venir

La prise de Port-Arthur préfigure l’avenir sanglant qui va meurtrir l’Europe et le monde dans le siècle à venir. L’usage intensif de l’artillerie et les assauts frontaux rappellent ainsi les batailles de la Première Guerre mondiale, comme Verdun, où des milliers de vies furent sacrifiées pour de faibles gains territoriaux. De même, la stratégie japonaise d’encerclement et d’attaques sanglantes entraînant de lourdes pertes évoque les batailles du Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale.

La prise de Port-Arthur symbolise ainsi la transition entre les conflits limités du XIXe siècle et les guerres totales du XXe siècle. Cependant, les leçons de ce conflit ne furent pas pleinement retenues. Tandis que l’Europe s’enfonça dans des tensions politiques croissantes et une course aux armements de plus en plus meurtrière, le Japon s’enhardit de son succès pour poursuivre une politique expansionniste en Asie. Ce manque de sagesse historique contribua à plonger le monde dans deux guerres mondiales, marquées par un chaos sans précédent.

 

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Eric de Mascureau
Chroniqueur à BV, licence d'histoire-patrimoine, master d'histoire de l'art

Vos commentaires

8 commentaires

  1.  » préfigure également les stratégies et pertes colossales des conflits mondiaux à venir. » Marque surtout le premier coup du suicide de l’Occident blanc, suivi par l’abominable saignée de la guerre de 14, puis par son emprisonnement comme prise de guerre par l’Amérique triomphante de 1945 débouchant inéluctablement sur le totalitarisme des mondialistes, également de culture anglo-saxonne.

  2. La victoire Japonaise est surtout la bataille navale de Tsoushima ou Togo détruisit totalement l’escadre Russe de Rodjenvesky, partie de Kronstadt. La flotte Japonaise avait été construite sous le controle de l’ingénieur Français Emile Bertin. Selon Semenoff, le siège de Port-Arthur aurait la vie de 54000 Japonais et 39000 Russes. Un autre évènement marquant a été la bataille de Chemoulpo, opposant le petit croiseur  » Varyagh  » a l’ensemble de l’escadre Japonaise. D’ou le chant des fusliers-marins Russes: Les héros du Varyagh ne se rendent pas !!

  3. Épisode très bien analysé par Amin Maalouf sans son essai « Le Labyrinthe des égarés. L’Occident et ses adversaires, Grasset, 2023 » que je recommande vivement pour comprendre les points de vue des autres « cultures », Japon, Chine, Russie…

    • Drôle « les Onze mille verges »? C’est carrément dégueulasse. Sade, à côté c’est « Tintin et Milou ». Pourtant Dieu sait qu’en dehors de cet ouvrage infâme, j’ aime Apollinaire. Et puis, quel rapport avec les guerres du XX ème siècle ? Cela dit, j’ avoue que je ne l’ai pas lu en entier. J’ ai arrêté quand il était question d’excréments et je me suis tout de même rendu à la fin par curiosité et il me souvient d’une fillette de 12 ans à qui l’on crève les yeux. J’ avoue ne pas avoir reconnu l’Appolinaire.

      • Ne pas confondre le mal fictionnel écrit et celui qui se fait en réalité, souvent sous le masque de la bonté. Ni Sade ni Apollinaire n’ont fait le mal. Comparez à Robespierre et à son règne « de la Vertu ». Et à tous les rousseauistes. Dans l’ouvrage que j’ai cité tout se termine à Port-Arthur. Et derrière la crudité – fictionnelle – il y a de la drôlerie. Des exégèses ont été faites, je ne crois pas pouvoir développer ça en longueur sur un post de BV.

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