1959, la nuit de l’Observatoire : 10 – « Tixier-Vignancour, Arrighi et Le Pen ont sorti les poignards de la guerre civile »
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Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.
Dans L’Express, Mitterrand raconte lui-même la dimension psychologique du piège, la mise en condition de la future victime par Pesquet (lire épisode 9). Il y a, dans ce texte, une musique, une plainte, une rage, une intelligence déployée. Les mots résonnent comme un murmure, persuadent, imprègnent et hurlent comme les plaintes d’une bête blessée. Il faut ragaillardir ce lecteur de L’Express qui vacille depuis une semaine.
« Oui, j’ai été leur dupe, commence Mitterrand. Voilà cinq ans qu’ils me guettaient. Voilà cinq ans que j’avançais entre les pièges et les traquenards. Et le jeudi soir 15 octobre, je suis tombé dans le guet-apens. » Les mots pourraient lancer un thriller.
Mitterrand reprend le fil des événements. Pesquet a mis en garde sa future victime. « Le temps du faux témoin, du faux papier et du vrai crime est revenu, écrit Mitterrand. Un temps implacable où la force et la haine ne font pas de quartier. C’est ce que j’ai oublié un instant. » Pesquet s’est inquiété de la sécurité de celui qu'il veut protéger contre ses commanditaires. Mitterrand a-t-il un garde en bas de son immeuble ? A-t-il éloigné ses fils ?
Tout de même, se demande le lecteur de L’Express : et la voiture identifiée et suivie, et l’itinéraire décrit d’avance ? « Pesquet reste évasif mais il s’intéresse au numéro de la voiture et à son itinéraire, explique Mitterrand. Il n’y a qu’une issue aisée en cas de poursuite dangereuse, c’est le square du Petit Luxembourg. S’il recueillait une indication, où Pesquet pourrait-il me toucher ? Chez Lipp, où j’ai l’habitude de me rendre », raconte Mitterrand. Mais « aucun rendez-vous n’est pris. À tout hasard, on verra bien. » Pesquet fait figure de manipulateur psychologique démoniaque et surdoué. Bien sûr, il ne répond pas à ce long assaut. Les médias donnent bien peu la parole à ce député poujadiste qui avait privilégié le pestiféré Rivarol pour dénoncer la mise en scène de l’attentat de l’Observatoire. À l’éternelle question, pourquoi Mitterrand menacé n’a-t-il pas appelé la police, le sénateur répond qu’il s’étonne bien « de ce mélange de précision et d’imprécision, mais il a déjà été coursé par des individus, la police l’a déçu ». L’ancien ministre livre un ouvrage de haute couture. Alors, ce soir-là, l'ancien ministre dîne chez lui, achète Paris Presse sur les Champs-Élysées et lit la prédiction de Lucien Neuwirth sur les commandos de tueurs prêts à abattre des cibles désignées. Cette menace dont Jean Cau écrivait qu'elle était inspirée par un certain... Mitterrand.
Le propriétaire de la 403 trouée de balles se pose comme la victime de ce terrorisme d’un genre nouveau. « Ce n’est pas pour rien que ces gredins étudient, certains depuis plus de vingt ans, les méthodes du terrorisme distingué, s’indigne-t-il. Ils ont leurs conseillers techniques formés par une carrière consacrée au service des poisons bactériologiques et des poisons plus subtils encore, dont on attend qu’ils défigurent et rongent l’honneur de ceux que l’on aime mieux vivants dans la souffrance que morts dans la paix. » Lorsqu’il s’aperçoit qu’une voiture suit la sienne, Mitterrand pense aussitôt que Pesquet avait raison. « J’ai cru d’un bout à l’autre à l’attentat réel », jure un Mitterrand trop bon, trop crédule. Mais à ce stade de son plaidoyer, Mitterrand politise la question, sort ses crocs, passe à l’offensive et se jette sur l’extrême droite, reprenant à dessein les accents de Zola. Ses véritables adversaires sont des politiques.
« J’accuse et je les nomme : Tixier-Vignancour, Dides, Biaggi, Arrighi et Le Pen ont sorti les poignards de la guerre civile. » Sur deux pages, le sénateur fait exploser une extraordinaire violence verbale. Le jeune député de Paris Jean-Marie Le Pen, élu au sein du groupe de Tixier-Vignancour, a éventé le complot, la veille de la parution de Rivarol, dans une discussion avec des journalistes. Il était donc au courant et sans doute complice, assure Mitterrand. Le voilà embarqué dans l’affaire. Car l’extrême droite, qui s’estime utilisée pour dériver l’indignation, ne se laisse pas faire. (À suivre...)
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