1959, la nuit de l’Observatoire : 6 – Mais qui donc manipule qui ?
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Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.
Pour la victime de l’Observatoire et ses soutiens, le coup est terrible (lire épisode 5). S’il peut apporter des preuves à ce qu’il affirme, Pesquet rendra très difficile la défense du sénateur. Le piège se resserre sur François Mitterrand.
Le Populaire est sans doute le plus embarrassé, mais toute la presse prise au piège marche sur des œufs. Le Figaro consacre à l’affaire un large appel de une et son éditorial : « Trop ou trop peu ». Le quotidien conservateur s’agace ouvertement de l’opacité du système gaullien. « Le climat d’intrigues dans lequel nous vivons peut et doit être assaini. » Cette fois, la vérité sera faite, jure Le Figaro. Mais la presse tourne à vide, hésite et suit, ballottée, les déclarations et les versions successives des principaux acteurs de cette étrange pièce. C’est un ballet bien réglé, un match de tennis où les journalistes installés en tribune tournent la tête à droite, puis à gauche, pour suivre le parcours de la balle. Comment ne s’agacerait-elle pas ? Une chose est certaine : après la parution de Rivarol, l’Observatoire n’a plus de lien avec le terrorisme, c’est une affaire de manipulation médiatique. Mais qui manipule qui ? Mitterrand a-t-il manipulé Pesquet pour surgir à son avantage dans les médias ? Pesquet a-t-il manipulé Mitterrand ? Les deux personnages ont-ils cherché à manipuler l’opinion chacun dans leur sens ? La presse s’exaspère de jouer les utilités et ne fait pourtant que cela...
Les journaux du samedi 24 et du dimanche 25 octobre répercutent une nouvelle conférence de presse de Robert Pesquet. « Si je suis un menteur, je suis un devin de première force », lance l’ancien député. Le Figaro en fait son titre de une.
Mais au terme d’une journée de vertige, d’abattement et de torpeur, Mitterrand reprend vie. Il a mis au point sa défense. Il va puiser dans ses contacts, user de sa force de conviction, déployer son art oratoire, aiguiser son intelligence politique. Il va démontrer sa résistance physique, intellectuelle et morale. Le Florentin a décidé de se battre. Il va enrôler la presse.
Dans la nuit de jeudi à vendredi, à 3 h 25 précises, Mitterrand sort enfin du silence. Devant les journalistes qui l’ont attendu, il confirme qu’il a été entendu par le juge d’instruction, qu’il ne lui appartient pas de révéler la teneur de cette audition mais qu’il s’est constitué partie civile. Il a chargé ses avocats d’assigner en diffamation. Le ton est romain, cicéronien. D’emblée, le jeune sénateur situe l’événement aux confins du drame personnel, de la défense des grands principes et de la roue de l'Histoire.
« Vous avez devant vous, Messieurs, un homme las des attaques dont il fait une fois de plus l’objet. Mais comme je l’ai fait en d’autres circonstances, je dénoncerai inlassablement, quels qu’en soient les risques, les machinations et les provocations qui demeurent les armes de la subversion. »
Victime quasi-expiatoire, Mitterrand jette les bases de son argumentaire de défense. Ce n’est pas simple. Le conducteur de la voiture mitraillée dans Paris admet qu’il connaît Pesquet. Mitterrand ne conteste pas l’ordre chronologique des faits donné par l’ancien député poujadiste, ni l’existence des rendez-vous. Impossible. Non, il va jouer sur l'interprétation des faits avancés par Pesquet, puis il provoquera le choc des crédibilités, celle de l'ancien ministre contre celle d’un obscur député en rupture de ban. Du reste, son principal ennemi n’est pas Robert Pesquet ni le piège infernal qu’il a mis en place mais plutôt le trouble qui a saisi l’opinion, la presse et les journalistes, jusqu’aux ténors de la gauche. Il a dans cette démarche un allié : la presse, une presse incapable d’enquêter, qui attend ses mots, une presse amie qui brûle de le défendre bien plus que de rechercher avec impartialité la vérité des faits.
Mitterrand va donc rappeler chaque journal, parler à chaque journaliste, tenter de recoudre le tissu déchiré de la confiance. Le lettré nourri de culture classique pense-t-il alors à Démosthène, figure tutélaire de l’art oratoire chez les Grecs, ou aux vers du poète André Chénier, guillotiné à la Révolution ? Tous deux ont jeté leur génie dans ces moments où un destin bascule. Environné de journalistes dès sa sortie du bureau du juge, en plein cœur de la nuit, dans l’enceinte même du palais de justice de Paris, la victime d’hier, devenue suspect numéro un d’une incroyable mise en scène, se défend pied à pied. Ce brillant communicant depuis longtemps rompu aux roueries de la politique s’attache d’abord à décrédibiliser l’adversaire. (À suivre)
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