1959, la nuit de l’Observatoire : 8 – « Une odeur de tristesse et de coup foiré »
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Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de L'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.
Mis au courant le lendemain de la défense de Mitterrand, Robert Pesquet hausse les épaules (lire épisode 7). « Invraisemblable », tranche-t-il. C’est un bras de fer médiatique qui s’engage. L’homme politique part à l’assaut des médias qu’il entreprend un par un, journaliste après journaliste.
Créé six ans plus tôt par Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, L’Express a soutenu passionnément Mendès France et lutté pour la décolonisation. L’hebdomadaire a le cœur à gauche : il prend passionnément la défense de Mitterrand.
Son journaliste, Jean Cau, qui couvre l’affaire, retourne voir le sénateur. Il trouve l’homme terré rue Guynemer, « dans un petit bureau aux fenêtres fermées », décrit-il dans son livre Croquis de mémoire (Julliard). « Dans le bureau, une odeur de veille, de désastre, de tristesse et de coup foiré », poursuit Jean Cau. Alors, dans une belle honnêteté, une belle humilité et une écriture somptueuse, Jean Cau éclaire le rôle qu’il a tenu, et L’Express avec lui. Tout est dit du rapport politique-médias aux débuts de la Ve République.
- Nous sommes dans de beaux draps, lance le journaliste à l’homme politique perdu ou presque.
- Voulez-vous que je vous explique ? demande Mitterrand.
- Je suis là pour ça, répond Jean Cau qui poursuit, dans son livre :
« J’étais là pour ça et pour l’aider à recoudre, toute déchirée, sa peau. J’écrivis donc, en l’enrobant de ma sauce, ce qu’il crut bon de me dicter, mais ce ne fut pas une interview. À moi tout seul en vérité, je jouais le rôle d’un immense public auquel s’adressait l’avocat Mitterrand défendant l’honneur perdu de son client Mitterrand. […] Ce ne fut pas une interview car le brave lecteur aurait pu dire "Mitterrand plaide sa cause" et se méfier des envolées et des arguments. L’article parut mais sans qu’il fut dit que j’avais, cette fois, rencontré le suspect. C’était donc moi qui parlais, démontais la machination avec une habileté extraordinaire, me transformais en avocat général débusquant les invraisemblances, démontrais une connaissance inouïe du code, de la loi, des labyrinthes de la justice, des processus de levée d’immunité parlementaire, etc. Sur tout cela, ma science était infinie, mise au service d’une remarquable logique démonstrative […]. Des soupçons qui pesaient sur Mitterrand, de leur contre-logique, je faisais du menu bois. Quel talent ! Sauf qu’il n’était pas le mien. Quelle habileté à défendre et à convaincre ! Sauf qu’elle n’était pas la mienne. Pendant près de trois heures d’horloge, dans le petit bureau, j’avais sur mon perchoir de perroquet écouté l’oiseleur et mon article n’était que la chanson qu’il m’avait chantée et que je m’étais contenté, sur ma portée, d’inscrire. »
Comment être plus clair ?
Le réveil de Mitterrand a redonné du cœur à la presse de gauche qui repart au combat. Dans son éditorial du Populaire des 24 et 25 octobre, Claude Fuzier dénonce une manœuvre politique. « L’entreprise de démolition est commencée », écrit-il, vitupérant « la vague de boue et d’insultes ainsi remuées » et dénonçant « des procédés dignes du plus parfait gangstérisme ». Le retournement des médias est en bonne voie.
Très vite, des personnalités se mobilisent aux côtés des rédactions amies pour soutenir la valeur montante de la gauche aujourd’hui dans de très sales draps.
Le premier, André Bettencourt, use d’arguments bien éloignés de l’affaire. Arguments anciens, curieux quand on a suivi les polémiques sur l’attitude de Mitterrand sous Vichy, mais parfaits, à l’époque, pour restaurer une crédibilité dévastée : « Ceux qui ont connu Monsieur Mitterrand pendant la guerre savent quels ont été son patriotisme et son courage, mais aussi son sens de l’organisation, sa méfiance instinctive et son sang-froid », témoigne le député de la Seine-Maritime qui connaît le natif de Jarnac depuis qu’à 16 ans, il fut avec lui pensionnaire des frères maristes rue de Vaugirard à Paris. Pour André Bettencourt, un tel homme ne s’abaisserait pas à organiser un vrai-faux attentat contre lui-même. Et s’il y avait consenti, l’ouvrage eût été d’une autre qualité. Les faits n’ont pas de place dans ces témoignages. La presse joue les porte-voix. André Bettencourt a du reste déjà joué les sauveteurs en mer : son témoignage et celui d’un certain… François Mitterrand ont obtenu la relaxe, au temps des procès pour collaboration après la guerre, du futur beau-père de Bettencourt, Eugène Schueller, le fondateur de L’Oréal et père de Liliane Schueller devenue Liliane Bettencourt. (À suivre...)
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