1959, la nuit de l’Observatoire : Épisode 3 – L’autre récit provoque la stupeur chez les journalistes

mitterrand

Comment les affaires ont abîmé la France. Nous vous racontons, en 13 épisodes, l'une des affaires les plus marquantes du régime et son traitement médiatique, l'affaire de l'Observatoire, qui faillit bien coûter la carrière d'un politicien plein d'avenir, un certain François Mitterrand. Extrait d'Une histoire trouble de la Ve République, le poison des affaires, de Marc Baudriller, paru en 2015 aux Éditions Tallandier.

Roland Dumas parti, François Mitterrand a entraîné Robert Pesquet, seul, le long des quais de Seine, raconte toujours Robert Pesquet dans ce numéro explosif du journal Rivarol (Lire épisode 2). L’entretien a alors pris un tour différent. Le sénateur Mitterrand (Gauche démocratique) a d’abord tenté de l’enrôler. Il est vrai que Pesquet « a la réputation, comme on dit familièrement, de n’avoir pas froid aux yeux », précise Rivarol. « Pourquoi ne viendriez-vous pas avec nous ?, demande le sénateur Mitterrand à l’ex-député. Vous seriez beaucoup plus à votre aise chez nous. » La conversation entre les deux adversaires politiques était cordiale, elle devient intime. Mitterrand s’enhardit. « Vous êtes un homme d’audace, Pesquet. Si je vous proposais quelque chose de dangereux, accepteriez-vous ? » Bien sûr qu’il accepterait. Mitterrand connaît Robert Pesquet. C’est un notable à la carrière brisée par le destin de l’Algérie. À 42 ans, il a connu les ors des ministères et les murs froids de la prison. Robert Pesquet, né au Maroc, a fait le parcours classique de l’élite politique française - droit et Sciences Po -, le même que Mitterrand. Il a démarré sa carrière en 1955 comme attaché au cabinet de Raymond Triboulet, le ministre des Anciens Combattants, puis s’est fait élire député républicain social du Loir-et-Cher en 1956. En octobre 1957, Pesquet a lâché son groupe parlementaire pour rejoindre Pierre Poujade. Un début de carrière sans nuages, qui prend un nouveau tour lorsqu’il part pour Alger au moment du putsch, le 13 mai 1958, avec les députés Jean-Marie Le Pen et Jean-Maurice Demarquet, futur cofondateur du Front national. Pesquet est rapidement arrêté et interné au camp de Nemours, en Oranie, par le général Salan. Les ministères, l’Assemblée, Poujade, l’Algérie française : le destin de Robert Pesquet ressemble à celui de beaucoup d’hommes politiques ou de militaires tombés dans le piège algérien. Il a connu les honneurs du pouvoir et l’opprobre des hors-la-loi. Rien ne l’effraie.

Rendez-vous est pris entre les deux hommes pour le mercredi suivant 14 octobre, à 16 heures, au café Marignan, sur les Champs-Élysées.

À l’heure dite, Mitterrand est bien là. Le futur président de la République ne démentira jamais ni les contacts, ni les rendez-vous, ni les dates données par Pesquet qui poursuit son récit.

- « Avez-vous bien réfléchi ?, demande le sénateur de la Nièvre, selon Pesquet. Toujours volontaire pour une mission dangereuse ? »

Pesquet confirme. Alors, Mitterrand explique son dessein.

- « Eh bien il faut, en plein Paris, exécuter contre moi un attentat – simulé, bien sûr ! Avez-vous une voiture ? Des armes ? N’essayez pas de me trahir, hein ? C’est votre peau que vous risqueriez », menace le Mitterrand de Pesquet.

- « Mais tout de même, réplique Pesquet, pourquoi donc, pour cette mission assez délicate, vous en conviendrez, n’avez-vous pas cherché d’exécutants parmi vos amis politiques ? »

Bonne question, en effet, mais Mitterrand s’explique dans un sourire mystérieux.

- « C’est fort simple. Il faut penser à tout. L’exécutant, comme vous dites, peut, même si nous combinons tout au mieux, être pris en train de tirer sur moi. Je tiens donc à ce que le rôle soit tenu par un ennemi politique comme vous. »

Et Mitterrand, raconte Pesquet, rit de bon cœur.

Rendez-vous est pris à nouveau pour le lendemain 15 octobre à 17 heures à la fontaine Médicis. Décidément, ces deux-là ne se quittent plus.

Devant la fontaine qui crépite d’un bruit de pluie, dans l’anonymat de la place, François Mitterrand menace.

- « Je ne plaisante pas », dit-il à Pesquet.

Et le sénateur enchaîne, en se frottant les mains du bon tour qu’il prépare.

- « Vous allez voir ce boum contre les ultras. Ah, ça va barder pour eux. »

Les ultras ? Quelques jours avant l’attentat de l’Observatoire, L’Express a raconté une étrange histoire. Des tueurs auraient franchi les frontières de l’Espagne de Franco pour agir en France, expliquait l’hebdomadaire. Ils auraient une liste de personnalités à abattre. Derrière eux, l’extrême droite. La France redoute alors qu’ils ne déclenchent une vague de violence. On craint les bombes, les assassinats. Dans son livre, Croquis de mémoire [1], Jean Cau, l’écrivain et ancienne plume de L’Express, raconte comment, quelques jours avant l’attentat de l’Observatoire, il avait « déjà écrit un article où, téléguidé par Mitterrand, j’annonçais quelles calamités allaient s’abattre sur la France : les paras tomberaient du ciel, des nervis qui déjà rôdaient dans l’ombre prêts à occire la République, des complots partout ourdis ». Titre de l’article publié dans le magazine de Jean-Jacques Servan-Schreiber et Françoise Giroud, fervents soutiens de la gauche : « Les assassins sont parmi nous ». François Mitterrand a préparé l’opinion. La presse s’est laissée faire. (À suivre...)

[1] Croquis de mémoire, Jean Cau, Julliard, 1985. Cité dans Les Grandes Affaires de la Ve République, L’Express, 2010.

Marc Baudriller
Marc Baudriller
Directeur adjoint de la rédaction de BV, éditorialiste

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