35 ans après la chute du Mur, l’ex-RDA vote pour la droite dure

Par Lear 21 sur Wikipédia anglais, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3692038
Par Lear 21 sur Wikipédia anglais, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=3692038

On commémore la chute du Mur de Berlin. C’était le 9 novembre 1989, des brèches s’ouvraient alors dans ce que l’Histoire appelle « le mur de la honte ». Mais que voit-on, 35 ans plus tard ? Le mur est tombé, certes, mais la frontière, elle, est restée. Elle apparaît aujourd’hui de façon criante dans le vote des Allemands. C’est en effet dans les Länder de l’Est que l’AfD (l’Alternative für Deutschland) fait ses plus gros scores.

L’AfD est un parti jeune. Créé en 2013 sur la base de l’euroscepticisme, on l’accuse de dériver toujours plus vers l’extrême droite, lui prêtant des positions xénophobes, racistes, anti-immigration et pour tout dire « néo-nazies ». Soutenues par de nombreux parlementaires, des pétitions circulent aujourd’hui pour réclamer son interdiction qui, dit-on à gauche dans les rangs de Die Linke, devrait être discutée au Bundestag « dans les prochaines semaines ».

La « frontière fantôme »

Reste la question majeure : peut-on interdire un parti qui rassemble 30 % des électeurs ? Voilà bien le problème : l’ex Allemagne de l’Est vote massivement pour l’AfD. « Pour la première fois de l’histoire de la République fédérale, un parti d’extrême droite, l’Alternative für Deutschland (AfD), est arrivé en tête d’une élection régionale, avec environ 33 % des suffrages exprimés en Thuringe, devant la CDU et en seconde position en Saxe, talonnant le parti chrétien-démocrate (30,6 % contre 31,9 %) et dans le Brandebourg (derrière le SPD, avec 29,2 % contre 30,9 %) », rappelle le site theconversation.com. Des résultats qui témoignent de la persistance du clivage Est-Ouest, ce que les historiens et sociologues appellent « la frontière fantôme ».

« Depuis la réunification, trois décennies et une génération ont passé, mais la discontinuité Est/Ouest de la géographie électorale allemande ne s’efface pas et même s’accroît », écrivent Béatrice von Hirschhausen et Boris Grésillon. Dans l’étude qu’ils consacrent au phénomène, ils s’interrogent : « Trente ans après la chute du Mur, avec le recul historique, quel bilan peut-on tirer de la réunification allemande ? Le rattrapage économique des Länder de l’Est a-t-il eu lieu ? Et la convergence politique ? Les Allemands ont-ils enfin le sentiment de « grandir ensemble » (du verbe « zusammenwachsen », difficile à traduire) ? »

A l’Est, un sentiment de relégation sociale et culturelle

La chute du Mur, croyait-on, sonnait la fin du communisme, la fin de la Guerre froide et même « la fin de l’Histoire ». L’archet de Mstislav Rostropovitch déroulait sur son violoncelle les arpèges d’un avenir radieux. L’Europe était en liesse, l’Allemagne marchait vers la réunification et sa moitié communiste vers l’économie de marché. Puis est venu le temps des déceptions…

Dès la fin des années 90, on a vu apparaître un nouveau mot, « ostalgie », c’est-à-dire la nostalgie de l’Est. Mais plutôt que de s’interroger sur les raisons profondes du malaise, l’ostalgie a vite été récupérée par le marché, nourrissant les films (tel Good bye Lenin) et les brocantes de l’Ouest. A l’est, on voyait s’envoler les rêves de prospérité. Bousculés dans leurs habitudes de vie, relégués dans un statut de subordonnés, cantonnés au bas de l’échelle économique et sociale de la société allemande, avec un taux de chômage de deux points plus élevé et des salaires plus bas que leurs voisins de l’Ouest (en moyenne 824 euros bruts de moins par mois), les Allemands de l’Est nourrissent « des formes de ressentiment à l’égard du gouvernement fédéral », nous disent les chercheurs cités plus haut.

A ce clivage Est/Ouest s’ajoute, comme partout en Europe et dans le monde occidental, un clivage entre régions rurales et grandes villes, le sentiment de relégation étant évidemment plus aigu chez les ruraux.

Enfin, dans cette Allemagne jadis « paradis socialiste », « 46 % des électeurs AfD estiment que le principal problème que rencontre le pays est l’immigration ; et ils se déclarent à plus de 90 % inquiets de la criminalité, de l’arrivée jugée trop massive d’étrangers, l’influence de l’islam et le changement trop rapide de la vie en Allemagne. » C’est, transposé, exactement ce qu’ont dit les électeurs qui viennent de porter Donald Trump au pouvoir… Si l'Allemagne de l'Est est aussi résistante aux discours immigrationnistes, c'est sans doute parce que d'une part elle en a longtemps été préservée, et que quarante ans de communisme vaccinent efficacement contre les discours officiels et médiatiques.

Marie Delarue
Marie Delarue
Journaliste à BV, artiste

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