« La loi du marché ne doit pas primer sur la justice humaine »

Interrogé au micro de Boulevard Voltaire, Joseph Thouvenel fait le point sur les problématiques posées par les ordonnances de réforme du Code du travail qui, selon lui, ne résoudront rien. Le problème de l'emploi en France, c'est celui de la concurrence déloyale sur le marché unique. Le vice-président de la CFTC rappelle que le système économique doit être au service des personnes et des familles et non du matérialisme.

Aujourd'hui, la CGT est dans la rue. Elle est la seule organisation syndicale à avoir appelé à manifester. La CFTC ne l'a pas fait. Pourquoi ?

C'est simple. La manifestation n'est pas vraiment dans nos gènes.
Pour nous, c'est vraiment le dernier recours. Les salariés de la CFTC sont souvent dans des entreprises de taille moyenne. Ils savent qu'une journée de salaire perdue pèse dans leur budget.
Et ils sont attachés à leur travail.
Sur une loi nationale, ils ont donc du mal à sortir dans la rue. Je le comprends et je les soutiens.
Ce n'est pas le problème direct de leur entreprise.

Cela dit, ces ordonnances sont globalement négatives.
Le problème de l'emploi, en France, n'est pas lié à l'épaisseur du Code du travail. Il peut et doit évidemment être simplifié, mais il n'est pas moins complexe que le Code des impôts, du commerce ou de la construction.
Le sujet de fond est la concurrence déloyale que nous subissons, notamment au sein du marché unique de l'Union européenne.
Nous n'avons pas les mêmes règles du jeu en matière fiscale, environnementale et sociale.
Un seul exemple : les Pays-Bas sont, en volume, un plus gros exportateur européen que la France.
Ce n'est pas possible étant donné la taille des Pays-Bas.
Le miracle tient à des textes que nos amis des Pays-Bas détournent pour pouvoir, par exemple, exporter des produits comme des fleurs qu'ils font pousser en Afrique.
Voilà ce qu'il faut résoudre comme problèmes.
Les ordonnances ne vont pas sur ce terrain-là.
En revanche, par le matérialisme, elles attaquent frontalement le respect de la personne.
Le plafonnement des indemnités que les prud'hommes peuvent accorder en cas de licenciement abusif en est un bon exemple.
Dans notre droit français, il y a une règle fondamentale et juste. Elle consiste à dire que lorsque quelqu'un a subi un préjudice, qu'il a été constaté et qu'on peut le mesurer, alors le juge peut décider de la réparation de l'intégralité du préjudice, évidemment financièrement, car pour le reste on ne peut pas.
Il y aurait une exception dans notre droit, le salarié.
On nous fait passer cela en justifiant que les entreprises ont besoin de prévisibilité.
Pour les licenciements, elles l'ont. C'est un cinquième de mois par année de présence. En connaissant le salaire et l'ancienneté d'un salarié, je connais combien va me coûter un licenciement normal.
C'est seulement dans le cas où il est reconnu que c'est un licenciement anormal, qui a transgressé la loi. Alors là, quand c'est l'humain, on nous dit « plafond », mais quand c'est un litige entre deux entreprises, on nous dit « intégralité ».
Par exemple, je constate qu'une entreprise a volé mes secrets de fabrication et commercialise un produit qui m'appartient, je vais devant le juge. Le juge va mesurer le préjudice et va le faire réparer intégralement.
Ce qui est bon pour la vie économique serait mauvais pour la vie des personnes.
Le syndicaliste chrétien que je suis ne peut pas laisser passer cela.
Le système économique doit être au service de la personne et des familles, pas le contraire.
La justice ne se divise pas.
C'est un point symbolique, car cela concerne peu d'affaires. Mais le symbole est très fort, car on met le doigt dans un engrenage matérialiste qui nous dit que la loi du marché doit primer sur la justice humaine.
Ça, c'est non !

Votre propos est raisonné, mais très peu entendu. Il y a très peu de débats de fond sur cette loi Travail. On entend plus parler de la CGT et de ses manifestations. Comment expliquez-vous cela ?

Nous sommes dans une société de la communication.
Le gouvernement communique et le président de la République ne cesse de communiquer.
Communiquer n'est pas traiter les problèmes sur le fond.
Il nous manque de vrais débats de fond et de vraies réflexions de fond.
Lorsqu'on nous dit, par exemple, que les ordonnances vont faciliter la vie des petites entreprises sur un certain nombre de cas de figure, comme les primes données pour la rentrée scolaire ou pour l'arrivée d'un enfant, le débat de fond nous montrerait que c'est absolument dangereux.
On va avoir deux cas de figure.
Le premier, une entreprise avec un patron malhonnête. Cela arrive même s'ils ne sont pas la majorité. Il décide alors de tout tirer vers le bas, y compris le social. Alors, une entreprise avec un patron normal qui est attaché à son entreprise et à ses salariés va subir une concurrence déloyale de plus que celle de son voisin qui va tirer le social vers le bas.
On l'a connu au XIXe siècle. Cela n'a jamais créé d'emplois, mais de la misère.

Deuxième cas de figure, je suis un patron tout à fait normal, mais j'ai un gros donneur d'ordres.
Demain, ce gros donneur d'ordres pourra me dire : « Pour réduire vos coûts, vous allez supprimer les primes de rentrée scolaire et de maternité de vos salariés. »
Si ce donneur d'ordres représente 70 % du chiffre d'affaires, alors soit je perds mon client et je fais faillite, soit je passe sous ses fourches caudines et je baisse la condition sociale de mes salariés, même sans le vouloir.
Pour ceux qui s'imaginent que, dans le monde économique tel qu'il est, cela ne se produira pas, c'est-à-dire ne tirera pas les conditions sociales et économiques à la baisse, ils sont soit de grands naïfs soit de grands cyniques.

Enfin, dernier point pour éclairer ce débat.
Aujourd'hui, lorsqu'il y a un licenciement dans une multinationale, on regarde si elle est en véritable difficulté financière. Dans ce cas, je comprends tout à fait qu'on licencie.
Demain, les ordonnances nous disent qu'on ne regardera que la filiale française.
Quand je vois ces multinationales qui font un chiffre d'affaires conséquent sur le territoire de la France et qui ne payent pratiquement pas d'impôts. Qu'on n'aille pas me faire croire que, demain, elles ne vont pas mettre en place les mêmes moyens pour mettre fictivement en déficit leur filiale française pour se débarrasser du personnel quand et comme elles le veulent.
Cela ne crée pas de l'emploi, mais du chômage.

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Joseph Thouvenel
Secrétaire confédéral de la CFTC, président de l'Union départementale de Paris.

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