Emmanuel Macron, une « ruse de l’Histoire » pour nous consoler « des temps présents » ?

Après l'image et les mots gênants de Ouagadougou, Emmanuel Macron, en deux jours, et deux occasions différentes, dans deux styles cette fois complètement appropriés aux circonstances, a soudain projeté les Français dans une époque qu'ils désespéraient de jamais voir advenir.

D'abord l'Algérie et ce dialogue-bain de foule où, enfin, un Président français est sorti de la langue de bois et des politesses diplomatiques de tous ses prédécesseurs, venant dire à la jeunesse algérienne (et à tout un pays) de cesser de masquer ses lâchetés, ses échecs, son manque d'ambition derrière le prétexte d'une colonisation qui, soixante ans après l'indépendance, ne peut plus être incriminée. Un tournant historique que nos collègues historiens, parfois très prompts à faire entrer dans les manuels les moindres actualités quand elles servent une idéologie, seraient bien inspirés d'accueillir aussi. Car ce qu'Emmanuel Macron est allé dire à la jeunesse algérienne s'adressait aussi à une partie de notre jeunesse.

Et puis ce discours d'hommage à Jean d'Ormesson, dans la cour d'honneur des Invalides. Rien à redire. Tout à relire. Et à admirer. Le Président a indéniablement une belle plume. Mais, en ce 8 décembre, on avait le sentiment qu'Emmanuel Macron, dans sa diction, son rythme, sa façon d'habiter les mots et le moment, était en concordance parfaite avec ces phrases, elles-mêmes si ajustées à leur sujet. Et, en tout cas, bien mieux que dans ses précédents discours « mémoriels » (Oradour, hommage à Simone Veil). Qu'elles étaient loin, ce vendredi, les envolées aiguës de la campagne électorale, il y a tout juste un an. Ou même la scénographie trop appuyée du Louvre le soir de l'élection. En ce 8 décembre, nous écoutions un Président en pleine maturation. Historique.

Historique, aussi, ce temps d'hommage à toute notre littérature et à son rôle dans la conscience que la France a d'elle-même. Là encore, combien de Français se sont dit : « Enfin... »

Jean d'Ormesson aurait sans doute été enchanté, si ce n'est d'avoir échappé à une oraison funèbre de François Hollande, du moins d'avoir été le prétexte de ce ressaisissement de la France.

Alors, certes, on pourra toujours trouver dans le discours du Président un clin d’œil à sa propre situation dans son "Il était trop conscient des ruses de l’Histoire pour se navrer des temps présents". On pourra aussi saluer le sens du kairos de notre Président ou déplorer, au contraire, sa surexploitation de ce type d'occasions pour construire sa symbolique (mais nous étions bien tous d'accord pour ne plus vouloir d'un "Président normal", n'est-ce pas ?). On pourra encore méditer sur cette « ruse de l'Histoire » que fut l'élection d'Emmanuel Macron.

Mais aussi se demander si ses paroles et ses discours si heureusement transgressifs se traduiront par les actes qui feront que toute la jeunesse de France, enfin débarrassée de l'idéologie que M. Macron a congédiée dans les rues d'Alger, puisse enfin habiter la langue, la littérature, l'histoire et la culture françaises quand, aujourd'hui, une partie croissante de cette jeunesse ne leur témoigne qu'ignorance ou indifférence. Quand ce n'est pas de l'hostilité.

Il y faudra plus qu'un discours. Et plus qu'une ruse.

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