À force de bouger les lignes, c’est la France qui s’efface
La formule "Il faut bouger les lignes" était à la mode naguère. Le problème est que les lignes se sont estompées dans le brouillard. Nous avions, dans notre pays, plus ou moins une gauche et une droite qui alternaient au pouvoir. Certes, la droite avait toujours des réticences à s'affirmer de droite, elle faisait des manières mais, enfin, elle avait des électeurs. Le troisième larron fatigué d'être accusé de crypto-fascisme avait viré à gauche en délaissant tout conservatisme pour faire de l'euro, plus encore que du migrant, son ennemi mortel.
La semaine qui vient de se dérouler, écrasée sous le poids de deux disparitions, aboutit à ce dimanche où ce qui est, paraît-il, le grand parti de l'opposition va choisir son président et où les Corses vont se donner une majorité nationaliste pour imiter les Catalans. L'orchestration médiatique et la mise en scène officielle ont fait de ces "vies transformées en destins", selon la formule de Malraux, des événements.
Même si la notoriété littéraire de Jean d'Ormesson ou la célébrité de Johnny Hallyday n'ont pas atteint la gloire internationale des écrivains ou des artistes français du passé, les Français tiraient de ces deux personnages une fierté dont manifestement ils ont le plus grand besoin à un moment où ils prennent pour beaucoup conscience du déclin de leur pays. Que Jean d'Ormesson ait incarné un certain esprit français, celui du XVIIIe siècle par exemple, fait de grâce et de légèreté, ne fait aucun doute. Pour Johnny, au nom d'emprunt aussi importé des États-Unis que son style, c'est plus discutable. Il y a dans ce "héros" national, suivant le mot malencontreux de Macron, un tropisme américain, qui est révélateur, puisque les Français ont tendance à imiter les États-Unis jusqu'à vouloir faire de la France une terre d'immigration et de communautés, ouverte à la diversité.
Mais avant tout, il s'agissait de deux personnages sympathiques, ayant l'un et l'autre le goût communicatif du bonheur, l'un en épicurien esthète, l'autre en hédoniste acharné à la passion de vivre. Enfin, ils avaient tous deux une complicité avec la légèreté - les mauvaises langues diraient la frivolité -, qui est l'une des caractéristiques, paraît-il, de l'esprit national.
La récupération politique des défunts a été opérée avec un réel talent par le locataire de l'Élysée : brillant et long discours académique pour l'un, brève allocution bien démagogique pour l'autre. L'art de Macron consiste toujours à s'adapter à son public, la bourgeoisie cultivée comme le peuple amassé de la Madeleine à la Concorde.
La foule sincèrement émue qui se pressait sur le passage du convoi funéraire était très différente de "l'establishment mondain" qui occupait, pétri de connivences, l'église de la Madeleine. "Les parlementaires couraient au cadavre pour lui emprunter de l'importance", écrivait Barrès lors de la mort de Victor Hugo. Il y avait de cela... Surtout, il y avait de l'entre-soi. Les deux personnalités étaient classées à droite. Quelle aubaine pour un banquier-président qui fait une OPA sur la droite française ! Certes, il s'agissait d'une droite fréquentable : l'un avait rencontré Mitterrand, l'autre assuré des prestations à la Fête de l'Huma. L'Église elle-même, toujours à la recherche de l'air du temps, avait ouvert ses portes toutes grandes au "bad boy" qui portait la croix.
Aujourd'hui, deux votes se déroulent. Le premier doit voir l'élection de Laurent Wauquiez à la tête des Républicains. Mais attention à lui ! Élu à droite, il devra sans cesse se méfier de l'attraction exercée à l'intérieur même du parti par tous ceux qui s'affirmeront eux aussi progressistes, macron-compatibles - opportunistes, en somme. Les Corses voteront aussi et diront que la politique du "continent" les intéresse de moins en moins. Les Français ont raison d'être nostalgiques, parce qu'à force de bouger les lignes, c'est la France qui s'efface.
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