Des racines chrétiennes de la France : bientôt la fin des croassements…
Enfant, mon père (né en 1898) me racontait comment, lorsque lui et ses condisciples sortaient de son collège tenu par les Frères des Écoles chrétiennes, ils étaient attendus puis accompagnés par une horde d'enfants laïcards qui les moquaient, les insultaient, poussant des croassements, ponctués de "À bas la calotte, mort aux corbeaux" : "corbeaux", c'est-à-dire prêtres et frères en soutane.
On eut aussi un Président aussi stupide qu'inculte qui pontifiait que l'islam avait autant d'importance dans notre histoire européenne que le christianisme.
Il demeure quelques laïcards - hors d'âge, mais cela ne les bonifie pas – qui persistent dans le déni en usage quand ils firent leurs jeunes loges au Grand Orient (il y a 60 ans).
Gérard Delfau fait partie de ceux-là, qui vient de préfacer, à la veille de Noël, un ouvrage collectif (L'invention de la Liberté de conscience ou l'entrée dans la modernité, L'Harmattan, 2017). Grand cacique du PS défunt et du Grand Orient, ex-sénateur et maire de ce qui fut le Midi rouge, il conteste, dans son exorde : "Les soi-disant racines chrétiennes de la France assenées par certains politiques comme la base idéologique indiscutable et le fondement politique unique de la nation, reléguant dans l'ombre les Lumières, la Révolution française, la IIIe République, le Front populaire et le Conseil national de la Résistance qui sont la matrice de notre modèle républicain."
C'est une charge virulente, inutile, irréfléchie, désordonnée, hétéroclite. Ce qui la rend pathétique. Car M. Delfau - qui a pourtant été enseignant à l'université - fait de grandes et ahurissantes confusions entre histoire, religion, valeurs philosophiques, politique. Il s'invente un ennemi et une cause qui n'existent que dans ses fixations.
D'abord une confusion entre christianisme, Église, clergé et Rome. Car des chrétiens peuvent adhérer à l'enseignement du Christ (amour, liberté, spiritualité pure hors système clérical ou politique) et ne pas être attirés par la liturgie et la hiérarchie catholiques. Inversement, il y a des athées catholiques qui reconnaissent au catholicisme un rôle social structurant.
Ensuite, une séparation bien imprudente entre les valeurs du christianisme et celles de la République. Les chrétiens que je connais (et, visiblement, j'en connais plus que M. Delfau) non seulement adhèrent à ces valeurs mais encore, en y réfléchissant, reconnaissent qu'elles sont issues du christianisme bien compris : la laïcité, c'est la séparation de la foi et du monde, notamment politique ; liberté spirituelle (et donc de conscience), recherche de la vérité (le veritas vos liberabit de Jean). M. Delfau, incorrigible politicien, essaie d'accaparer et de faire entrer dans un débat sur les valeurs essentielles de la nation des épisodes comme le Front populaire, la IIIe République et même le CNR ! Mais pas Jeanne d'Arc.
Agrégé de lettres, M. Delfau ? On est pourtant surpris qu'il fasse commencer l'Histoire de France à la Révolution et décrète que celle-ci ne doit rien au christianisme. Alors que les Conventionnels parlaient sans cesse de Dieu et que la Fête de la fédération (1790) fut avant tout une… messe. D'ailleurs, la doctrine du christianisme elle-même doit beaucoup aux premières Lumières de l'humanité qui éclairèrent l'Attique 2.200 ans avant les nôtres, qui s'en inspirèrent énormément. Et Augustin avait été très influencé par Plotin, et Thomas d'Aquin par Aristote.
Je vais tout de même apporter mon soutien à M. Delfau sur un point : oui, c'est bien à la fin du XVIIIe siècle que fut construite la notion de nation et de peuple souverain. Notion que le socialisme de M. Delfau a toujours noyé sous l’internationalisme. C'est même le titre du cantique préféré de ses semblables.
On peut être hostile au clergé, incroyant, athée, agnostique. Dire la religion dépassée et sans intérêt moral, intellectuel, spirituel. Mais nier que l'Histoire de France est une construction progressive, de Clovis à Charles de Gaulle, serait une sottise heureusement en voie d'extinction.
Quant à la liberté de conscience, elle a été pratiquée par Socrate. Avant la IIIe République.
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