Le Village LGBT (Fable)
Sur la place de mon village, il y a l’église, la mairie, la boulangerie, la poste et la pharmacie. La vie est bien organisée autour de cette place que chaque citoyen connaît bien. Place vivante, colorée, joyeuse et bigarrée. C’est un peu de chacun qui s’en va et s’en vient. Mais, depuis quelque temps, on voit aux devantures d’étranges plaques, enseignes et drapeaux qui tendent à s’uniformiser.
Il faut dire que, depuis l’apparition de gays lurons dans le village, il s’instaure une obsession étrange : les accueille-t-on bien ? Ne sont-ils pas discriminés ? Sont-ils contents de nous ? N’ont-ils rien à nous reprocher ? Verront-ils combien nous ne les haïssons point ? L’idée omniprésente d’un potentiel inconfort de ces « LGBT » guette tous les esprits et entame un concours.
D’abord, la pharmacie arbore l’arc-en-ciel, signe de ralliement des LGBT-friendly. Ami s’il en est, le patron de l’officine promet : "Les gays y seront bien traités ! Nous leur réservons l’accueil spécial d’écoute et de considération !" Il a même révisé, pour l’occasion, les bases du VIH et de l’hépatite C. Il veut pouvoir les conseiller au mieux. Le pharmacien le jure : les gays y seront bien !
La Poste n’est pas en reste, et souhaite éviter le procès d’intention. Elle sait que ses horaires sont parfois un peu restreints. Pour le commun des mortels, ce n’est pas bien dommage, mais pour la clientèl’gébété, ce n’est pas tolérable. Aussi, pour être sûre qu’ils se sentent accueillis réserve-t-elle le créneau de 11 h à midi pour ses nouveaux amis. Sur la porte, un panneau qui leur plairait sûrement : « Monsieur le facteur, pressez le pas, l’amour LGBT n’attend pas ! »
Le boulanger, pour ne pas être dans le pétrin, réfléchit à son tour : « Il est vrai que ces gens sortent la nuit, dorment le jour. Comment puis-je, dans ces conditions, leur livrer mon bon pain ? Et s’ils me le reprochaient ? » Il fut hors de question qu’il soit incriminé. Aussi, jusqu’à la nuit tombée, madame la boulangère assurait-elle au comptoir de servir ces messieurs. Voilà de quoi satisfaire leurs nouveaux clients. (Les anciens, eux, s’adaptant, venaient aussi la nuit.)
Cerné de tout côté, monsieur le maire était dans l’embarras. Si ses concitoyens adaptaient leurs principes pour les deux tourtereaux, il en faudrait bien peu pour qu’on lui reprochât au mieux de l’indifférence, peut-être du mépris ou, pire, de la haine à leur endroit. Pour se porter garant de la probité de l’État, il proposa sur-le-champ d’unir par les liens plus ou moins sacrés du mariage gay les nouveaux arrivants. Il en profita, au passage, pour descendre les trois couleurs et pavoiser l’arc-en-ciel sur le fronton de la mairie ; et être ainsi, lui aussi, LGBT-friendly.
Il ne resta bientôt que l’église au milieu. Sur le parvis, devant les lourdes portes ouvertes à tous (sans exception ni préférences), le curé assistait à la métamorphose. Devant tant de fariboles, il se décida et alla voir monsieur le maire, le boulanger, la postière et le pharmacien pour leur dire un à un : « Ne croyez-vous pas que vous en faites un peu trop ? Les accueillir, certes, mais ils ne sont que deux ! L’arc-en-ciel est joli, mais il n’y a pas qu’eux… Soyez polis, serrez-leur la main mais, de grâce, reprenez-vous un peu. Avec du recul, un commun des mortels et un LGBT ne sont pas si différents, si tant est que la vie ne tourne pas autour d’eux. »
Ainsi, progressivement, on revint à la raison. Depuis le maire jusqu’au pharmacien, on ôta les drapeaux, on reprit une vie normale, au point que tout se passe maintenant comme s’il n’en fut jamais rien.
C’est très probablement ce qui se passera à Lyon après que nos médias auront fini de claironner ce non-événement qui veut que la pharmacie du village, LGBT-friendly, accueille les gays ou les lesbiennes plus particulièrement. LGBT ou non, les autres pharmacies seront juste friendly, et c’est très bien ainsi.
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