Le gouffre béant des grands médias déficitaires
Les grands médias ne parviennent plus à boucler leurs fins de mois et c’est un paradigme qui est valable autant pour le Québec que pour la France. Il y a péril en la demeure pour cette presse qui relaie les fils de presse des grandes agences et qui dépend des subventions gouvernementales pour se maintenir à flot.
Mélanie Joly, ministre du Patrimoine canadien, vient d’annoncer que le gouvernement Trudeau s’apprête à injecter 75 millions de dollars sous forme d’aide à une presse écrite qui bat de l’aile dans un contexte où la Fédération nationale des communications lance un cri de désespoir. En effet, cet organisme – qui représente les principaux syndicats de journalistes au pays – a tenté à plusieurs reprises d’interpeller le Joly ministre dans un contexte où plus de 40 % des emplois de ce secteur ont été perdus entre 2009 et 2015. Comble de l’aberration, les autorités canadiennes responsables de la culture et des communications ne font rien pour ralentir la cannibalisation des revenus d’Internet par les grands prédateurs que sont devenus Google et Facebook.
Par ailleurs, au printemps 2017, un comité parlementaire a déjà proposé une taxe spéciale de 5 % qui pourrait être prélevée sur l’accès à Internet afin de financer les médias traditionnels. La principale intéressée ne semble pas désireuse d'emprunter cette voie qui pourrait être très mal vue par une majorité de consommateurs n’appréciant guère d’être littéralement détroussés par des fournisseurs Internet qui facturent des tarifs mensuels pouvant atteindre les 100 euros par mois pour une connexion à haut débit. Un cas de figure qui est carrément indécent si l’on compare la situation canadienne avec le paysage européen ou japonais.
Toujours est-il qu’un nombre grandissant d’internautes préfèrent grappiller la masse grandissante des informations gratuites qui sont agrégées par les grands conglomérats, les médias sociaux et de plus en plus de médias dits de réinformation. La situation est à ce point dramatique que deux grandes agences de presse – Reuters et AFP – finissent par établir un quasi-monopole sur une information parcellaire qui est redistribuée au compte-gouttes vers les salles de presse des grands quotidiens en perte de vitesse. Le gouvernement canadien a même été obligé d’injecter 675 millions de dollars de plus, répartis sur cinq ans, à sa propre chaîne Radio-Canada. Ainsi, au grand dam de la concurrence privée – et surtout des petits joueurs de la réinformation –, l’organe officiel de la novlangue gouvernementale ponctionne la majeure partie des subsides destinés à protéger un « droit à l’information » qui n’est plus qu’une pétition de principe.
Cerise sur le gâteau, les artisans des médias en perte de vitesse mettent de la pression sur Mélanie Joly pour que les auteurs de « fausses nouvelles » soient mis hors d’état de nuire, voire mis au chômage… on se retrouve avec le même paradigme que celui qui faisande la France, à cette exception près que l’offre médiatique a été réduite en peau de chagrin ces dernières années au Canada. Déjà, plusieurs régions éloignées du Québec craignent de voir disparaitre, à brève échéance, la quasi-totalité des hebdomadaires qui assuraient une couverture de base des actualités locales.
Il n’y a pas à dire, nous sommes en présence d’un opéra-bouffe qui n’est pas très ragoûtant, alors que les internautes désertent une presse écrite qui tombe en désuétude et que les géants de la Silicon Valley monopolisent l’assiette publicitaire en contrôlant le Big Data. Le gouvernement Trudeau argue qu’il est urgent d’aider la presse traditionnelle à se réorienter en direction des médias virtuels. Tout cela tombe à plat puisque nous assistons plutôt à un duel sans merci opposant la liberté de la presse (monopoles et consorts) au droit à une information plurielle et diversifiée.
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