Gérard Genette a bien mérité de la littérature

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Il est des morts qui ne font, hélas, pas la une. Pourtant, ils mériteraient des égards auxquels d’autres ont droit parce que nettement plus populaires. Ainsi, Gérard Genette, né en 1930, est décédé le 11 mai dernier dans un relatif anonymat. Gérard Genette, c’était le passage obligé des étudiants de lettres modernes, avec ses incontournables Figures, recueils d’études nous ouvrant des portes qui, jusque-là, nous étaient demeurées inconnues, et ce, dans un style limpide qui n’excluait pas une extrême rigueur.

"Les formes rigides, ou rigidifiées, de la théorie littéraire dans la deuxième partie du XXe siècle, Genette, sans les rejeter, les vivifiait avec un art et une inspiration qui étaient ceux d’un écrivain à part entière. Au même titre que Roland Barthes, Jean-Pierre Richard ou Jean Starobinski – chacun selon des voies propres –, il manifestait la part créative sans laquelle les études littéraires et la critique perdent leur âme et leur vigueur" (Le Monde).

Ce fils d’un ouvrier du textile, agrégé de lettres – à l’époque où la récompense du mérite n’était pas un vain mot dans l’enseignement ! –, directeur de recherche de l’École des hautes études en sciences sociales, fonda, en 1970, avec Hélène Cixous et Tzvetan Todorov, la revue Poétique et publia un bon nombre d’essais sur la narratologie, "discipline qui étudie les mécanismes internes d’un récit" (signosemio.com), et dont il fut à l’origine.

Gérard Genette "parvenait, face aux textes, à faire œuvre de physiologiste sans sombrer dans le rapport d’autopsie. C’est qu’il pratiquait la théorie en écrivain, et même en “poète”, ainsi que l’estimait Barthes dès 1972 dans La Quinzaine littéraire" (Le Magazine littéraire). Et, loin des développements abscons de certains de ses confrères – souvent destinés à une poignée d’érudits non dénués de suffisance –, appréhender la littérature et ses mécanismes ne constituait pas un pensum avec lui. On y décelait cette tentative passionnée de nous faire saisir "ce vertige qu’est la lecture", selon ses propres mots.

Il pouvait aussi se montrer facétieux comme lorsqu’en 2006, il publia Bardadrac, "un pseudo-dictionnaire où les réflexions, pensées, jeux de mots, souvenirs, confidences, courtes analyses se mêlent, se chevauchent" (Le Figaro).

Comme l’a écrit si justement Christine Marcandier, "avec Genette, c’est une génération critique qui finit de disparaître, les géants, Derrida, Barthes, Todorov. Avec lui, avec eux, la diction était fiction, la critique une forme de création. Lire deux pages de Barthes ou de Genette, c’est apprendre à penser, certes, c’est trouver un rythme, une respiration et une inspiration" (Diacritik).

En 1976, sur France Culture, il faisait cette confidence : "La littérature a été quelque chose, je ne dirai pas comme un refuge, mais plutôt comme l’expression un peu délibérée, peut-être même au début un peu forcée, d’un refus et d’une rupture." De cette rupture sont nées beaucoup de vocations. Qu’il en soit remercié.

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