McCain « héros légendaire » ?
Sur la photo noir et blanc, prise ce 8 juin 1972 à Trảng Bàng, l’on voit une jeune fille courant, nue et en pleurs, vers l’objectif du photographe, en compagnie de quatre autres enfants et quatre soldats armés, alors que l’arrière-plan est envahi d’une fumée épaisse. Si le document ne fut jamais instrumentalisé de façon aussi pathétique que celui, plus récent, d’un certain petit « migrant » syrien échoué sans vie sur une plage turque, il devint cependant l’incarnation d’une guerre, d’une époque : celle de l’impérialisme américain au Vietnam.
La petite fille s’appelait Kim Phúc, victime collatérale d’une giclée de napalm malencontreusement égarée au mauvais endroit et au mauvais moment par une aviation militaire sud-vietnamienne un brin « tête en l’air ». Dans La France contre les robots (1945), Georges Bernanos évoquait un type d’hommes, selon lui si représentatif, en un sens, de l’ordre et de la civilisation des machines : l’aviateur bombardier. "Le brave type qui vient de réduire en cendres une ville endormie se sent parfaitement le droit de présider le repas de famille entre sa femme et ses enfants, comme un ouvrier tranquille sa journée faite. […] Le bombardier d’aujourd’hui, qui tue en une nuit plus de femmes et d’enfants que le lansquenet en dix ans de guerre, ne souffrirait pas qu’on le prît pour un garçon mal élevé, querelleur."
2018 : l’on vient d’apprendre le décès, le 25 août, de John McCain, ancien soldat américain, ex-prisonnier de guerre au Vietnam, libéré en 1973 après six ans de prison, suite à sa capture du côté d’Hanoï, le 26 octobre 1967. Après sa libération, il intégra le circuit politique, et on le cite volontiers pour avoir activement œuvré au « rapprochement des peuples ». De fil en aiguille, notamment dans le contexte américain précédant l’élection de Donald Trump, son positionnement sur l’échiquier politique, ainsi que sa détestation affichée de ce dernier, le plaça automatiquement dans « le camp du bien »…
C’est ainsi que L’Express (29 août), dans un entrefilet signé M.E., compatit avec une Amérique qui "perd un héros légendaire de la guerre du Vietnam". Curiosité sémantique : une guerre qui semblait avoir été unanimement considérée comme impérialiste, à en croire ne serait-ce qu’une Joan Baez ou un Bob Dylan de l’époque, peut donc offrir à l'humanité des « légendes héroïques »… Notre "héros légendaire" ne pouvait éprouver, poursuit L’Express, "que du mépris pour Donald Trump. Autre époque", conclut M.E., après avoir passé en revue les convictions de l’intéressé, celle de ces dirigeants aux "valeurs occidentales : la démocratie, l’économie libérale, la liberté d’expression et de croyance".
Aux antipodes d’un Trump dont Christian Makarian, dans un éditorial (L’Express, 22 août), soulignait le goût malsain pour les grands défilés militaires alors qu’il avait affiché l’intention, après avoir assisté à celui du 14 juillet 2017, sur invitation de Macron, de vouloir en instaurer un semblable aux États-Unis. Ce qui "trahit", selon M. Makarian, "la fascination de Trump pour les régimes autoritaires et pour les dirigeants réputés forts. Il [le défilé militaire] est le propre des régimes illibéraux, autoritaires ou des dictatures proclamées." Celui du 14 juillet étant franco-français, je suis fort aise d’apprendre que règne en France un « régime autoritaire », un « dirigeant fort », un « régime illibéral » ou une « dictature proclamée ». Et pour enfoncer un clou que M. Makarian semble croire imparable, il conclut ainsi : "Si Donald Trump souhaite se tailler l’image d’un homme fort, mieux vaut pour lui qu’il cherche d’autres moyens que le prestige militaire, lui qui échappa à la conscription au Vietnam, grâce à une bien propice excroissance osseuse au talon."
M. Makarian a raison : n’est pas « héros légendaire » d’une guerre impérialiste au Vietnam qui veut. Du coup, et du fait de sa non-conscription, Donald Trump n’a pu balancer les bombes, missiles, roquettes ou autres napalms impérialistes dont John McCain a pu, lui, gratifier le Viêtcong au cours de ses 23 missions de pilote de chasse aux commandes de son Douglas A-4 « Skyhawk » de la marine américaine. In fine, nous ne saurons jamais non plus combien d’hommes, femmes ou enfants le « pilote bombardier » McCain avait sur la conscience, ni combien M. Trump en a épargné en échappant à la conscription…
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