Livre : Les Marchands de nouvelles. Essai sur la pulsion totalitaire des médias, d’Ingrid Riocreux
La Langue des médias (éloquemment sous-titré Destruction du langage et fabrication du consentement), publié en 2016, était un brillant essai dans lequel l’auteur, professeur agrégée de lettres modernes, spécialiste de rhétorique, stylistique et grammaire, démontrait que les journalistes « mainstream » ne cessent de reproduire des tournures de phrase et des termes impliquant en définitive un jugement éthique sur les événements. Prenant pour des données objectives des opinions qui seraient en réalité identifiables à des courants de pensée, ils contribueraient, de la sorte, à répandre nombre de préjugés qui sont au fondement des croyances tenaces de notre société.
À sa sortie, l’ouvrage apparut bien vite comme un véritable traité critique de linguistique journalistique, Ingrid Riocreux s’attachant à disséquer le parler des médias ayant pignon sur rue, également dénommés "médias officiels". À ce titre, La Langue des médias mériterait de figurer en tant que véritable manuel pratique des écoles de journalisme parmi la profuse bibliographie – parfois orientée – fournie à leurs étudiants…
Avec Les Marchands de nouvelles, notre sémiologue avertie récidive dans son analyse critique des « médias autorisés », syntagme qu’elle définit – s’appuyant sur les précédents de journalistes peccamineux s’étant malencontreusement aventurés sur des sulfureux sentiers prétendument "extrême-droitiers" – comme des médias "que l’on est autorisé à citer dans une revue de presse". Cette fois, elle va plus loin dans sa foisonnante réflexion et s’interroge sur la méfiance légitime (qui s’apparente à une nécessaire et prudente prise de distance à l’égard de tout contenu ou vecteur médiatique) que ces mêmes médias peuvent inspirer autant que sur celle qu’ils expriment.
Concluant son propos par une référence à peine voilée – bien que non explicite – à Roger Nimier qui jugeait, à travers son personnage Sanders du Hussard bleu, que "quand les habitants de la planète seront un peu plus difficiles, je me ferai naturaliser humain. En attendant, je préfère rester fasciste, bien que ce soit baroque et fatigant", Ingrid Riocreux livre, nonobstant un regard tout à la fois empreint de réprobation douce – mais ferme - et de sévère magnanimité, une analyse impartiale – la « réinfosphère » en prend également pour son grade – du comportement médiatique, de cette posture autosatisfaite, parfois condescendante, qui conduit les membres les plus en vue de la profession à s’ériger en parangons de la vertu universelle.
L’auteur, qui a mené sa thèse de doctorat sur le moralisme (plus exactement sur l’abstruse et très pointue négation dans le fragment moraliste : La Rochefoucauld, Pascal, Vauvenargues, Chamfort), soutenue en 2013 devant l’université Paris IV), puise évidemment aux meilleures sources du génie intellectuel et littéraire français (Balzac, Maupassant, Ellul, etc.) pour instruire – à charge et à décharge – le procès de la caste journalistique. Ainsi stigmatise-t-elle à bon droit l’insupportable tropisme professoral et moralisateur du journaliste, l’étroit formatage idéologique des écoles de journalisme, l’insoutenable sémantique en usage tant dans les salles de rédaction que sur les plateaux d’info en continue (constituée d’impropriétés lexicales, d’« idiomatismes idiots », d’aberrations syntaxiques, d’anglicismes aux implications mensongères, etc.), leur confondante mauvaise foi qui les enferme dans une "inaptitude coupable, non seulement à voir ce qu’ils voient, mais même à voir ce qu’eux-mêmes nous montrent", leur psittacisme affligeant ou encore leur fâcheuse propension à répandre – et à répondre à – n’importe quel stimuli de la doxa dominante.
Très impliquée dans les pages de son essai tout aussi roboratif que le précédent, l’auteur n’hésite pas à se livrer personnellement et à questionner sa légitimité à critiquer le journaliste, ce qui souligne une remarquable humilité, qualité aussi inspirante que rare en nos temps moroses et gris.
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