Me Jean Paillot : « nous contestons que Vincent Lambert soit en situation d’obstination déraisonnable »

Vous êtes un des deux avocats des parents de Vincent Lambert. Pouvez-vous expliquer aux lecteurs de Boulevard Voltaire la décision juridique prise par le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne ?

Dans sa décision du 30 janvier dernier, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a estimé que la décision du docteur Sanchez, selon laquelle son patient, Vincent Lambert, serait dans un état d’obstination déraisonnable justifiant l’arrêt de son alimentation et de son hydratation et son placement sous sédation profonde et continue jusqu’à son décès, était bien fondée.
Nous contestons cette décision, parce que nous contestons que Vincent Lambert soit en situation d’obstination déraisonnable. C’est, d’ailleurs, l’avis des experts judiciaires qui se sont penchés sur la situation de ce patient et ont considéré que, dès qu’il ne souffre pas, qu’il n’est atteint d’aucune maladie récurrente et qu’il n’est pas en fin de vie, l’arrêt de son alimentation et de son hydratation ne sauraient être légitimées par une situation d’obstination déraisonnable, qui n’existe pas ici.
L’obstination déraisonnable ne peut pas résulter uniquement d’une volonté présumée d’un patient, volonté non prouvée avec certitude, et dont les propos ont été rapportés de manière contradictoire, laissant apparaître qu’il s’agit davantage d’une interprétation de sa volonté que de l’expression de sa volonté.
La difficulté vient de ce que ces mêmes experts ont retenu une méthode d’évaluation de la conscience du patient qui n’est pas conforme aux méthodes utilisées habituellement par les professionnels de cette branche de la médecine (filière EVC/EPR). 59 médecins et professionnels de santé ont, d’ailleurs, écrit au tribunal pour dire que la méthode d’évaluation choisie n’était pas adéquate. Si la méthode d’évaluation n’est pas la bonne, alors le résultat ne peut pas être bon.
Ce qui est triste à pleurer, c’est que nous avons tenté de discuter avec les experts de la méthode d’évaluation choisie, mais que nous en avons été empêchés, puis interdits, par le président du tribunal. C’est ce qui explique que nous avons mis en cause l’impartialité de ce tribunal, qui nous empêche de discuter d’un des éléments essentiels de l’expertise, qui a finalement conduit le tribunal à valider la décision du docteur Sanchez.

Quelle est la situation de santé de Vincent ?

Nous, avocats, recevons régulièrement des vidéos montrant Vincent. Ces vidéos ne peuvent pas être publiées, nous les réservons aux médecins et juges chargés de statuer sur son cas. Sur une vidéo reçue il y a quelques jours, on voit nettement Vincent réagir à la voix de sa mère et tourner la tête vers elle.
Les experts judiciaires, à qui nous avons montré des vidéos similaires, nous ont indiqué ne pas en tenir compte car Vincent, selon eux, "ne peut pas avoir de conscience", comme l’IRM réalisée en 2014 le leur montre. Il est extraordinaire qu’une seule IRM, réalisée il y a cinq ans, vaille plus que les réactions observées aujourd’hui.
Vincent est un handicapé qui se trouve dans un état stable. Comme je l’ai dit, il ne souffre pas. Il n’est pas sous respirateur artificiel et tous ses organes vitaux fonctionnent normalement, sans palliatif.
Ce qui est infiniment dommage c’est que, depuis près de six ans maintenant, il n’a plus accès aux soins normaux et ordinaires prévus pour les patients en état de conscience altérée comme lui : il n’est jamais sorti de son lit et mis au fauteuil, il n’est même jamais sorti de sa chambre, où il est enfermé à clé, comme dans un couloir de la mort en attendant sa condamnation finale — ou son transfert dans une unité spécialisée où il pourrait être pris correctement en charge.
Il n’est donc pas mis dans une situation où il pourrait progresser.
C’est une situation scandaleuse, mais que le tribunal administratif, dont aucun juge ne s’est au demeurant jamais déplacé pour aller le voir, a pourtant entérinée. Ce tribunal porte une lourde responsabilité dans la situation actuelle de ce patient.

Quelle sera la suite de cette "affaire" ? Que peuvent espérer ses parents et une partie de sa famille qui s'opposent fermement à l'arrêt de son alimentation et de son hydratation ?

Nous sommes devant le Conseil d’État, qui est juge d’appel dans cette procédure particulière qu’est un référé liberté. Nous y ferons valoir les limites de la procédure d’expertise, éléments médicaux à l’appui.
Nous y ferons également valoir que la volonté présumée d’un patient ne constitue pas un critère de l’obstination déraisonnable et qu’elle ne peut suppléer, chez une personne hors d’état de faire connaître sa volonté, l’absence d’obstination déraisonnable — sauf à admettre comme bien fondée une demande d’euthanasie, car c’est précisément de cela qu'il est question ici.
Nous ferons valoir tout l’intérêt qu’il y a à transférer ce patient dans un autre établissement.
Nous ferons valoir que c’est une filière d’excellence de la médecine française qui est désormais sur la sellette, car derrière le cas particulier de Vincent Lambert, ce sont les bonnes pratiques de toute cette filière EVC/EPR qui sont en question — et tous les patients qui y sont pris en charge.
La solution que nous préconisons est une solution de bon sens et une solution conforme à la dignité de tout être humain, y compris handicapé. Serons-nous enfin entendus ?

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