Alexandre Langlois : « Il y a une volonté du gouvernement de criminaliser le mouvement qui est pacifique »
Pour Boulevard Voltaire, Alexandre Langlois analyse le profil des casseurs qui agissent en marge des manifestations des gilets jaunes, ainsi que l'action du gouvernement dans le maintien de l'ordre.
Le Canard enchaîné avait titré "Itinéraire d’un casseur d’extrême gauche". En réalité, il s’agissait d’un militant catégorisé à l’extrême gauche qui cassait impunément depuis plusieurs actes des gilets jaunes. Comment a-t-il pu agir en toute impunité ?
Il était surveillé par les services de renseignement, notamment par nos collègues du renseignement parisien. Nous n’avions pas assez d’éléments pour le présenter devant un juge, jusqu’à la dernière manifestation de samedi dernier.
Ce casseur d’ultra-gauche a quitté, avec un petit groupe, la manifestation principale. Deux de nos collègues du renseignement parisien l’ont suivi. Ils ont demandé des renforts, notamment le groupe qui est chargé d’interpeller dans ces situations-là. La préfecture de police a dit que tous les groupes étaient pris sur la manifestation principale et qu’il n’y avait pas de groupe de disponible. Nos collègues du renseignement ne sont pas formés pour faire des interpellations, et ce n’est d’ailleurs pas leur rôle. Ils n’allaient pas risquer de se faire tuer alors qu’ils n’étaient que deux. Ils ont donc continué leur travail de renseignement jusqu’à ce qu’il y ait enfin eu, en fin de journée, une équipe disponible pour interpeller cette personne.
Dans ces manifestations se trouvent des groupuscules d’extrême gauche ou d’extrême droite qui se livrent à certaines violences. Néanmoins, on a l’impression que le gouvernement a du mal, en ce qui concerne les mouvements d’extrême gauche, à les nommer et à les identifier en tant que groupuscules violents. Avez-vous une explication ?
Nous restons toujours prudents sur les catégories des gens d’ultra-gauche ou d’ultra-droite. On oublie un troisième groupe qui est celui des pilleurs. Ce sont des personnes généralement des quartiers populaires de banlieues qui viennent piller les magasins. Il y a donc trois groupes distincts de gens qui se trouvent dans ces manifestations pour commettre des actions violentes.
Les pilleurs sont aussi des voleurs, ils sont donc faciles à catégoriser. En revanche, il est plus difficile de catégoriser les gens qui se présentent comme des militants politiques alors qu’en réalité, ils sont violents et sont des délinquants. Ça relève souvent du déclaratif. Bien souvent, ils nous disent qu’ils sont de telle ou telle mouvance, mais il n’y a rien derrière, sauf s'ils participent à un réseau et qu’ils sont déjà suivis.
On sait qu’à l’heure actuelle, le gouvernement utilise les mêmes méthodes qu’il avait utilisées contre les policiers en colère, un mouvement qui ressemblait aux gilets jaunes. Le gouvernement avait dit, à l’époque, que c’était l’extrême droite qui infiltrait le Mouvement des policiers en colère. Il avait fourni à la presse le profil de quelqu’un d’extrême droite. Tout avait été mis en scène. Le Canard enchaîné, déjà, à l’époque, avait démonté la baudruche. Cela permet à Benjamin Griveaux de dire que ce sont les foules brunes. Ça fait peur et permet aussi des dérives sémantiques. Ça évite, surtout, de justifier sur le fond. On sort un épouvantail alors que, finalement, que ce soit l’ultra-droite ou l’ultra-gauche, ces gens-là doivent être arrêtés et présentés devant un juge.
Ils ne vont pas casser les pieds aux manifestants pacifiques et agresser nos collègues.
Y a-t-il, pour vous, une volonté politique d’instrumentaliser ces violences pour décrédibiliser un mouvement politique ?
On ne fera pas d’interprétation, parce que ce n’est pas notre rôle. Les services de renseignement ont été déshabillés sur les groupements sociétaux. On a tout mis sur la radicalisation, par conséquent, d’autres parties du renseignement ont été moins bien gérées.
Monsieur Castaner avait déclaré, lors de certains actes des gilets jaunes, que tous les gens qui auraient manifesté seraient complices des casseurs.
On voit bien qu’il y a une volonté de criminaliser le mouvement, alors qu’il est pacifique dans sa grande majorité.
Nos collègues CRS nous ont raconté qu’ils avaient appelé la salle de commandement parisienne pour leur dire "Il y a des casseurs qui s’équipent devant nous, que fait-on ?"
Ils leur ont répondu : "Vous ne bougez pas."
Les images de ces faits étaient terribles, puisqu’on voit des CRS qui ne bougeaient pas une oreille devant un McDonald's en flamme.
Nos collègues n’ont même pas besoin des services de renseignement, ils n’ont pas les ordres d’interpeller ces personnes. C’est très frustrant et dangereux.
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