Philippe Bilger : « Avec l’incarcération de Crase et Benalla, cette affaire se normalise et le judiciaire reprend la main ! »
Philippe Bilger revient sur les derniers rebondissements de l'affaire Benalla : mise en cause des travaux de la commission d'enquête du Sénat par le gouvernement, violation du contrôle judiciaire et incarcération de Crase et Benalla.
Au-delà de l’affaire Benalla, nous assistons à une guerre entre l’exécutif et le Sénat. Christophe Castaner a déclaré que les sénateurs étaient un danger pour la République. Qu’avez-vous pensé de cet épisode ?
Je trouve que le propos du ministre de l’Intérieur est plus qu’excessif, de la même manière qu’auparavant les paroles du garde des Sceaux et celles, peut-être, d’autres ministres dont je n’aurais pas suivi à la trace les paroles.
Il est évident que la commission sénatoriale a exercé dans sa plénitude le rôle qui était le sien. La Constitution permet au Sénat et à la commission sénatoriale de contrôler le gouvernement. Il est clair que les recommandations et le travail considérable qui a été accompli par cette commission n’étaient pas dénués d’un heureux esprit partisan. Je veux dire par là qu’ils n’ont probablement pas été effondrés en découvrant un tel nombre de dysfonctionnements. Mais le fait que le contrôle se soit attaché à décrire et à dénoncer la multitude des dysfonctionnements et la désorganisation à l’intérieur de l’Élysée, du fonctionnement interne de ce suprême domaine républicain, n’a rien qui puisse choquer. Il est paradoxal de reprocher à la commission sénatoriale d’avoir violé la séparation des pouvoirs au moment même où les ministres et le Premier ministre lui-même, en dénonçant le rôle pourtant on ne peut plus légitime de la commission sénatoriale, font exactement la même chose et de manière beaucoup plus inopportune.
Revenons à l’affaire en elle-même. Le fait que Vincent Crase et Alexandre Benalla aient pu se parler pendant une heure au palais de justice ne vous choque-t-il pas ?
Bien sûr que cela me choque. Toute erreur, toute faute ou tout dysfonctionnement, surtout dans ce domaine très sensible, aussi bien sur le plan judiciaire que dans le registre démocratique, est tout à fait regrettable.
Là où, peut-être, je me distingue de ce que je lis ici ou là, et notamment sur Twitter, c’est le fait que je ne vois pas forcément un complotisme dans cette grave erreur, mais tout simplement le résultat d’une incurie qui peut se produire. L’erreur est humaine et je regrette qu’elle se soit produite là. C’est une incurie, une insuffisance, un défaut de vigilance et non pas une malfaisance délibérée.
L’affaire Benalla dure depuis juillet. Certains pensent qu’elle a trop d’importance médiatique, d’autres pensent qu’au contraire, on essaie de la minimiser.
Que pensez-vous de l’affaire Benalla dans sa globalité et de son traitement ?
Dans sa substance elle-même, on ne peut pas dire que ce soit une affaire d’État. Elle a été qualifiée d’affaire d’État parce que son appréhension justifiait qu’on entre dans plusieurs services, plusieurs organismes, plusieurs ministères et, en plus, à l’Élysée. C’est en ce sens-là qu’on a pu parler d’affaire d’État. C’est une affaire qui conduisait à aller voir partout dans tout ce qui regardait de près ou de loin État, ministère, services publics.
Je ne trouve pas qu’on ait abusé médiatiquement. Mais le fait que Benalla et Crase ont été incarcérés à la suite de la violation du contrôle judiciaire n’est pas du tout une action qui révélerait une politisation. C’est absolument l’inverse. On a longtemps eu l’impression que l’affaire Benalla était gérée sur un plan politique avec un esprit partisan, avec peut-être un soutien excessif de la part du Président. La violation du contrôle judiciaire et l’incarcération qui en est résulté, c’est au contraire le judiciaire qui reprend la main. Et, alors que le politique dominait dans le traitement de cette affaire, c’est le judiciaire qui prend la relève très légitimement. Cette affaire se normalise par cette procédure et cette incarcération qui résultait de la violation du contrôle judiciaire. Le politique sort par la fenêtre, heureusement, et le judiciaire rentre par la porte.
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