Jean Sévillia : « Retrait d’Abdelaziz Bouteflika : une victoire de la rue à court terme qui ne résout rien ! »
L'annonce du retrait de la candidature d'Abdelaziz Bouteflika à la présidence de l'Algérie est-elle le signe d'une victoire du peuple algérien ? Le pays peut-il espérer sortir de cette crise de manière pacifique en évitant un scénario islamiste ?
Analyse de la situation algérienne par Jean Sévillia au micro de Boulevard Voltaire
Après plusieurs semaines de pression de la rue, Abdelaziz Bouteflika renonce à briguer un 5e mandat. Est-ce une victoire du peuple algérien ?
À court terme, c’est évident. Le système du parti au pouvoir militaro-politico-industriel du FLN a reculé devant la pression de la rue. Ces manifestations, sur l’ensemble du territoire algérien et spécialement dans les grandes villes, ont été impressionnantes. Le fait que le pouvoir a reculé devant la rue est un résultat immédiat et assez inédit dans l’histoire de la République algérienne. Le pouvoir a voulu lâcher du lest. Il a bien vu qu’une confrontation directe n’était pas possible avec des millions de personnes contre soi. Il y a un moment où on peut difficilement tenir.
Pour autant, cela ne résout rien. Abdelaziz Bouteflika est toujours au pouvoir. Mais en fait, il s’agit d’un pouvoir fantôme. Derrière sa personne, c’est un système tout à fait opaque, un clan qui est au pouvoir. Il concerne sa famille, le frère de Bouteflika, la haute hiérarchie militaire algérienne et certains milieux d’affaires. Ce même clan se maintient au pouvoir.
Nous avons de multiples interrogations. Comment va se dérouler l’avenir ? Il nous annonce un report de l’élection présidentielle, mais pour quand ? Et les candidatures seront-elles libres ?
C’est une victoire de la rue algérienne, mais c’est une victoire à court terme qui, pour l’instant, ne résout rien.
On se souvient de la guerre civile. L’Algérie peut-elle s’en sortir pacifiquement ?
Ce n’était pas Bouteflika, mais c’était les mêmes hommes qui réprimaient sévèrement les manifestations.
En 1988, l’armée algérienne a tiré à balles réelles sur la foule, faisant des centaines de morts.
En 1992, le processus électoral a été interrompu puisque les islamistes allaient gagner les élections législatives. Le système algérien est capable de violence.
D’un côté, cette réalité-là est évidente. De l’autre côté, c’était il y a trente ans. Depuis, le temps a passé. La haute hiérarchie algérienne n’a pas changé. Il y a sûrement une certaine perméabilité entre les attentes de la société civile et l’armée algérienne, notamment chez les jeunes militaires qui ne sont pas ceux d’il y a trente ans.
L’Algérie s’accroît d’un million d’habitants par an. Ils étaient 42 millions en 2018, ils seront 43 millions à la fin 2019. Sur ces 43 millions, 45 % ont moins de 25 ans.
Aujoud’hui, il y a une forme de naïveté et d’innocence de cette foule qui ne mesure pas à quel point la haute hiérarchie militaire est capable de déclencher un processus répressif extrêmement fort.
Dans quel sens cela va-t-il basculer ? Les meilleurs spécialistes de l’Algérie sont eux-mêmes dans l’expectative. Tout le monde est extrêmement prudent. Il y a une grande opacité. On ne sait pas qui dirige. Il n’y a pas moyen de pénétrer ce système et d’avoir des informations. Même les journalistes très spécialisés n’arrivent pas à avoir des informations inédites. Tout le monde est donc très prudent.
Le scénario islamiste paraît-il probable ?
Ce scénario est peu probable aujourd’hui. Cela ne veut pas dire que les islamistes ne sont pas présents dans la société algérienne. Ils sont même très actifs. Vraisemblablement davantage dans les campagnes que dans les villes. On n’est pas dans cette logique-là dans l’immédiat. On a vu, physiquement, que c’était une foule musulmane, mais pas une foule islamiste. Cela n’est pas dans la mentalité algérienne, même si certains réseaux travaillent dans ce sens-là. Ils ne représentent pas du tout la majorité algérienne.
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