Macron, l’Europe, la civilisation… Quinze siècles d’Histoire
Le 5 mars, le Président Macron faisait publier, dans les vingt-huit États membres de l'Union européenne, une tribune où il présentait, face aux prétendues menaces liées au Brexit et à la montée des nationaux-populismes, sa vision personnelle du modèle européen : "L’Europe n’est pas qu’un marché, elle est un projet. Un marché est utile, mais il ne doit pas faire oublier la nécessité de frontières qui protègent [on est heureux de l’apprendre] et de valeurs qui unissent. Les nationalistes se trompent quand ils prétendent défendre notre identité dans le retrait de l’Europe ; car c’est la civilisation européenne qui nous réunit, nous libère et nous protège… nous devons réinventer politiquement, culturellement, les formes de notre civilisation dans un monde qui se transforme. C’est le moment de la Renaissance européenne."
D’abord, le propos serait plus compréhensible si le beau merle chanteur, au lieu d’écrire "défendre notre identité dans le retrait de l’Europe", disait plus clairement "défendre notre identité en se retirant de l’Europe". Celui qui a perdu le tao de sa langue (son sens intime) est assurément mal placé pour exercer convenablement la conduite des affaires d’État. Reste qu’il faut demeurer juste et ne pas faire à cette indigente pensée politique un procès d’intention qu’elle ne mérite pas à tout coup, surtout lorsqu’il est question de civilisation européenne. Car les contempteurs systématiques de l’européiste Macron croient pouvoir l’épingler en lui refusant l’usage du mot civilisation à propos de l’Europe. Mais n’est-ce pas, une fois de plus, confondre Union européenne et Europe ? La chimère institutionnelle d’un côté, la réalité charnelle de l’autre ?
Les arguments des négateurs de l’Europe comme totalité civilisationnelle sont les suivants : il n’existerait pas de civilisation cimentant entre eux les peuples européens, chacun ayant sa propre culture nationale, hétérogénéité irréductible se traduisant par une grande pluralité linguistique. Ceci en écho à la thèse selon laquelle l’Europe serait une dangereuse fiction en tant que conglomérat d’économies disparates engendrant d'insolubles écarts de développement, ceux-ci plombant une construction a priori bancale.
C’est, cependant, oublier ces fameuses racines chrétiennes qui ont fait l’objet de tant de polémiques. Une foi commune qui a servi de mortier à des briques nationales en apparence si hétérogènes. Le voyageur sait, toutefois, qu’au-delà de la diversité linguistique se retrouve, partout en Europe, un intangible socle ethno-culturel. D’un bout à l’autre de l’Europe, les Christ sanglants et douloureux des terres galates sont terriblement ressemblants. Ceux de la Galice espagnole comme ceux de la Galicie polonaise et ukrainienne. Or, seule l’unité originelle de ces peuples peut expliquer, au-delà des convergences évolutives, de telles similitudes dans les représentations.
Définir la civilisation, également, comme un certain stade de développement matériel et technique en la distinguant de la culture, soit le perfectionnement des savoirs, des arts et des mœurs, n’est pas seulement réducteur mais, finalement, induit en erreur. Un raisonnement rudimentaire conduit naturellement à des jugements politiques erronés souvent entachés de parti pris idéologique. Le rejet justifié d’une Union bruxelloise soviétoïde ne doit pas nous inciter à nier en bloc l’Europe alors qu’elle existe bel et bien depuis l’Empire carolingien. Et l’Europe était encore à l’œuvre dans les six coalitions successives qui se forment à partir de 1792 pour combattre la France révolutionnaire. Elles aboutiront, en 1815, à une reconfiguration du sous-continent à travers les différents traités de Vienne qui en fondent la modernité. Ainsi, de mars 818, lorsque Louis le Pieux convoque un plaid général à Aix-la-Chapelle, à l’annonce du grand débat en décembre 2018 (suivi de la signature du traité franco-allemand, le 22 janvier 2019), l’Europe, sous ses différents formats, aura toujours été présente avec une impressionnante permanence.
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