Prisons : ces nouveaux lieux de citoyenneté…

Touchant, cette sollicitude du pouvoir pour les prisonniers. En 2015, pendant le festival d’Avignon, Christiane Taubira était venue assister à une représentation de la pièce Prométhée enchaîné, d’Eschyle, dans la prison du Pontet, dans le Vaucluse. Si tu ne vas pas à la culture - et pour cause -, la culture viendra à toi.

Avec Mme Belloubet, l’imagination va plus loin. En octobre dernier, elle annonçait que d’ici deux ans, chaque cellule de prison serait équipée d’un téléphone fixe. « Question de sécurité », avait déclaré le garde des Sceaux. Quatre numéros pré-enregistrés, pas d’accès à Internet. Mettons.

Et puis, il y a eu le grand débat. « Quand le mode d’emploi du grand débat a été rendu public, on s’est rendu compte qu’il n’y avait rien sur les publics empêchés », avait expliqué la Direction des affaires pénitentiaires (DAP). C’est quoi, les « publics empêchés », pour reprendre le jargon officiel de notre administration ? Ce sont les personnes qui ne peuvent se déplacer sur les lieux culturels : personnes très âgées, malades, hospitalisées, à mobilité très réduite et détenus. « L’idée, c’est qu’on ne voie plus des détenus, mais des citoyens », avait expliqué un porte-parole de la DAP. Doit-on dire, désormais, « Un citoyen empêché s'est évadé de la prison de Fresnes » ? La question est pendante. Mais mettons encore.

Le 26 mai prochain, jour des élections européennes, grâce à Mme Belloubet, on va aller encore plus loin. Les détenus pourront voter par correspondance. Précisons que tous les détenus ne sont pas condamnés (un tiers, environ, sont des prévenus et réputés innocents jusqu’à leur éventuelle condamnation) et la majorité des condamnés citoyens français conservent leur droit de vote, sauf si leurs droits civiques leur ont été enlevés en peine complémentaire. Rappelons qu'avant 1994, les condamnés pour crime perdaient automatiquement leurs droits civiques. Précisons, aussi, que le vote par correspondance n’est pas possible pour les citoyens « lambda ». Seul le vote par procuration permet, pour les personnes qui ne peuvent se rendre dans leur bureau de vote le jour du scrutin, d'exercer leur droit de vote. Et pourquoi les prisonniers n’usent-ils pas, eux aussi, de cette procédure ? Les associations de soutien aux détenus arguent, à juste titre, qu’au-delà de six mois passés derrière les barreaux, on est considéré comme résidant dans la commune où se situe la prison. Il eût été probablement plus juste de corriger cette disposition du Code électoral au lieu d’instaurer, d’une certaine manière, une rupture d’égalité entre les détenus et les non-détenus.

Car des personnes qui ne peuvent se rendre au bureau de vote, outre les détenus, il y en a sans doute des centaines de milliers qui, elles, n’ont pas causé de préjudice à la société mais qui, au contraire, sont à son service. Et c’est justement ce service qui est la cause de leur empêchement : pompiers, infirmières, policiers, militaires en mission, parfois à des milliers de kilomètres de la France, etc. Pour tous ces serviteurs dévoués, une seule possibilité d’exercer leur droit de citoyen : donner procuration à une personne de confiance inscrite sur les listes électorales de leur commune. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. Maintenant, à dire qu’il vaut mieux être taulard que militaire sous Macron, je vous fais juge, comme disait Sacha Guitry…

Un peu moins de 10.000 détenus se sont donc manifestés pour pouvoir voter aux élections européennes. À l’arrivée, comme le rapporte Le Huffington Post, ils ne seront finalement que 5.342 à pouvoir le faire, soit 10 % des détenus ayant le droit de vote. En attendant, l’administration pénitentiaire claironne : « Nous avons fait face à une vraie poussée citoyenne. ». Espérons que la poussée citoyenne sera d’une autre ampleur hors les murs des prisons le 26 mai prochain.

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Georges Michel
Editorialiste à BV, colonel (ER)

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