Pour la première fois, aux européennes, un vote musulman : vers l’halalisation de la politique française ?

NAGIB AZERGUI

Au lendemain de ces élections européennes, c'est triomphalisme pour les uns, déceptions et règlements de comptes fratricides pour les autres. Mais fort peu de réactions face à la présence, pour la première fois en France et à un niveau national, d'un vote à connotation ouvertement musulmane.

Symptomatique, pourtant, et révélatrice de l'état de notre société, la liste Une Europe au service des peuples portée par l'Union des démocrates musulmans français est arrivée 19e sur 34 devant celles revendiquées « identitaires » comme La Ligne claire (Renaud Camus), la liste de la Reconquête ou même celle des monarchistes comme Une France royale.

Malgré des scores peu probants, l'islam fait donc son entrée dans le champ politique au niveau national et européen. Si on tient compte de l'accroissement démographique des populations concernées, on imagine mal un retour en arrière.

Le 26 mai dernier, la liste de l'Union des démocrates musulmans français a obtenu 28.447 voix (0,13 % des suffrages). Score quelque peu dérisoire, rapporté au nombre de suffrages exprimés (22.655.000), mais significatif au niveau local. Les journalistes du Parisien se sont dit « impressionnés » par les scores obtenus dans le département des Yvelines. À juste titre : « Mantes-la-Jolie, Trappes ou Chanteloup, Nagib Azergui (sa tête de liste) fait jeu égal avec les partis traditionnels. C’est du jamais-vu. Avec 16,74 % de voix dans le quartier du Val Fourré à Mantes-la-Jolie, la liste de l’Union des démocrates musulmans menée par Nagib Azergui fait quasiment jeu égal avec La France insoumise. Il totalise 6,77 % sur l’ensemble de la ville. »

Difficile d'en tirer des conclusions définitives : contrairement au vote catholique, qui a rapidement fait l'objet d'études et de décryptages, le vote musulman est encore bien difficile à cerner. En effet, selon le directeur de recherches au CNRS et professeur en sciences politiques à Aix-en-Provence, « aucune étude précise ne permet de définir les contours du vote des Français de confession musulmane ». Même si, d'une manière générale, on estime que la population musulmane a plutôt tendance, majoritairement, à s'abstenir.

En 2012, elle se serait pourtant massivement exprimée en faveur de François Hollande.

Les musulmans de France ne forment pas un ensemble homogène. Lorsqu'ils agissent en politique, ils se divisent. En témoignent les scissions apparues lors de la campagne des législatives 2017 où trois partis à connotation musulmane étaient en lice localement (Français & Musulmans, l'UDMF et le Parti Égalité Justice PEJ).

L'objectif affiché des responsables de l'UOIF comme de ceux du CFCM est plutôt d'inciter les populations à aller voter. Sans consignes de vote, exception faite en 2017 pour le CFCM, qui appelait clairement à l'élection du candidat Macron.

Pour ces élections européennes, les musulmans étaient appelés à « rompre le jeûne du vote » pour faire barrage « aux valeurs de haine et d'exclusion » et « prendre place dans la société ». Les scouts musulmans de France se sont mobilisés pour faire voter les jeunes. Les responsables de l'UDMF mettaient en avant le poids économique non négligeable du marché du halal (5,5 milliards d'euros en France) en progression constante (10 % par an) et la nécessité de défendre le droit des femmes à porter le voile dans les lieux publics. Épineuse question cent fois posée et jamais résolue. Révélatrice de l'échec constant de nos fameuses valeurs républicaines pour traiter de l'islam dans notre société.

Nagib Azergui s'est félicité des résultats obtenus par sa liste aux élections européennes ; pour lui, « rien n'a stoppé et ne stoppera notre détermination et notre mobilisation ! »

Peu de jours avant, on apprenait par Le Point que les Français croyaient de moins en moins en Dieu. Parmi les 18-29 ans, seuls 3 % d'entre eux se déclarent catholiques pratiquants, à égalité avec les jeunes du même âge se déclarant musulmans ! Tandis que la part des « sans religion » (athées, agnostiques, déistes) ne cesse de croître, passée de 27 à 58 % de la population française en quarante ans.

Face à cette promesse de l'UDMF que « [son] aventure ne fait que commencer » et qui donne rendez-vous pour les prochaines élections électorales, sommes-nous armés ?

Notre athéisme galopant saura-t-il faire face ? Il est plus que temps de s'emparer de la question...

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Sabine de Villeroché
Journaliste à BV, ancienne avocate au barreau de Paris

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