Beyond Walls: une fresque sur le Champ de Mars en soutien à SOS Méditerranée… et cela ne dérange personne ?

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L’art éphémère peut sembler paradoxal. L’ambition d’un artiste n’est-elle pas, presque toujours, de défier le temps ? Même si la musique est fugitive, qu’une note chasse l’autre et que le silence les chasse toutes, la partition et l’enregistrement permettent de recréer l’émotion, et c’est tant mieux.

L’art comme instrument politique, c’est aussi paradoxal : pourquoi la recherche du beau et de l’émotion qu’il suscite devrait-elle servir un autre dessein que cette émotion ? Mais ça existe depuis Mathusalem, et peut-être même avant, avec des horreurs comme l’art officiel soviétique, par exemple. L’art sacré est-il un art politique ? Bonne question, mais ce n’est pas celle d’aujourd’hui…

Guillaume Legros, dont le pseudonyme est Saype (1), un artiste pionnier de la peinture sur herbe, réalise sur les pelouses du Champ-de-Mars, à Paris, un ensemble de six « fresques » monumentales sur 15.000 m². Elles représentent des mains entrelacées qui se tiennent par les poignets. Il vaut sans doute mieux grimper au 3e étage de la tour Eiffel pour apprécier cette œuvre, mais les photos publiées laissent observer une œuvre intéressante, que la météo se chargera peut-être de dégrader plus vite que prévu. Oui, que les bobos-écolos se rassurent, la peinture utilisée est biodégradable, cette œuvre s’estompera jusqu’à disparaître un jour.

Cette œuvre, Beyond Walls (derrière les murs), est réalisée en soutien à SOS Méditerranée, l’association qui porte assistance aux migrants, celle qui a affrété l’Aquarius qui a défrayé la chronique. Saype affirmait à 20 Minutes et à France Info : « Mon action est plus sociale que politique » et « Je n'ai pas envie de m’engager pour un parti, je veux travailler pour l’édifice du vivre ensemble et c’est ce que représente, je crois, SOS Méditerranée. C’est une fresque au service de l’humanité. » Les artistes sont-ils exonérés d’un devoir de cohérence ?

La collusion entre la mairie de Paris et l’association SOS Méditerranée interroge. Bien sûr, les édiles n’ont aucun devoir d’allégeance envers un art officiel qui n’existe heureusement pas et qui détiendrait un monopole. Mais est-ce opportun de se lier à cette association soupçonnée de complicité avec les passeurs dans ce qu’il faut bien appeler un trafic de migrants ? Les poursuites dont elle fait l’objet relèvent-elles plus de l’acharnement juridico-policier contre de l’humanitaire dérangeant ou d’une fumée dont l’origine est forcément un feu ? Ce n’est pas à moi de me prononcer.

Et puis, il y a ce désolant constat : les migrants focalisent encore et toujours l’attention des médias, des politiques, des réseaux sociaux et de nous tous en Occident. Pourtant, ils ne sont qu’un symptôme et pas le mal lui-même. L’absence de développement économique, la corruption, la captation par nos pays développés de la main-d’œuvre formée et qualifiée quand elle fait si cruellement défaut sur place, voilà des maux qui nous laissent indifférents, qui ne font pas la une de nos journaux. Sans être le moins du monde prophète, tant que les pays d’Afrique n’auront pas, avec notre aide, résolu ces problèmes, nous aurons, nous, des problèmes de migrants. Alors, un ensemble de fresques pour aider à soigner des symptômes, c’est juste un peu dérisoire, comme un cautère sur une jambe de bois.

(1) Né en 1989 à Belfort, installé en Suisse, pionnier du land art et prix Forbes 2019 des 30 personnes de moins de 30 ans les plus influentes dans l’art et la culture.

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