Vincent Lambert : Michel Houellebecq, seule conscience des dérives de notre époque, une fois de plus
Comme après tout décès, l'heure devrait être au silence et au recueillement. Et l'injonction viendra certainement de la part de ceux qui, durant ces quelques jours, et encore après la mort de Vincent Lambert, n'ont pas eu la dignité de taire leurs « Enfin ! »
Il est vrai que l'on se sent démuni après ce désastre médical, judiciaire, éthique, humain qui a abouti à cela. Et, comme le disait Georges Michel, pris de vertige devant la « brèche » ainsi ouverte. Durant tout le tapage médiatique qui a entouré cette « affaire » Lambert, ce qui m'a surtout frappé, c'est le silence de certains. Celui de nos gouvernants et de notre Président qui, tout en ayant mieux à faire ailleurs (le bac, la Coupe du monde féminine de foot...), agissaient en fait par un pourvoi en cassation. Mais, surtout, le silence de nos consciences, de nos intellectuels, de nos philosophes. Qu'auraient dit un Bernanos ? Un Lévinas ? Un Paul Ricœur ? Et même un Camus ? Nous n'en sommes plus au temps de la trahison des clercs, mais de leur désertion. Or, sur cette « affaire » et ses conséquences insondables, le citoyen et le politique auraient grandement besoin d'un autre regard que celui de certains médecins et de certains juges.
Une seule voix s'est élevée, parmi les « grands » écrivains de notre temps, celle de Michel Houellebecq, dans une tribune publiée dans Le Monde juste avant l'annonce du décès de Vincent Lambert. Et l'on est saisi, une fois de plus, par l'analyse très juste de l'auteur de Soumission, que l'on reconnaît tout entier dans ces lignes et dont la grandeur est de coller au plus près de l'existence, dans sa misère et sa vérité, que notre époque ne veut plus voir. Une alliance qui est la marque même de l'écrivain qui embrasse et unit le plus personnel, le plus intime et le plus universel, loin des concepts et des idéologies.
« Une découverte extraordinaire, [...] a eu lieu en 1804 : celle de la morphine. [...] En résumé, la souffrance n’est plus un problème, c’est ce qu’il faut répéter, sans cesse, aux 95 % de personnes qui se déclarent favorables à l’euthanasie. Moi aussi, dans certaines circonstances (heureusement peu nombreuses) de ma vie, j’ai été prêt à tout, à supplier qu’on m’achève, qu’on me pique, tout plutôt que de continuer à supporter ça. Et puis on m’a fait une piqûre (de morphine), et mon point de vue a changé radicalement, du tout au tout. En quelques minutes, presque en quelques secondes. Bénie sois-tu, sœur morphine. »
Mais l'aveu plein de sincérité et de bon sens de Houellebecq prend aussi la forme d'un terrible J'accuse contre l'État et le ministre de la Santé :
« Ainsi, l’État français a réussi à faire ce à quoi s’acharnait, depuis des années, la plus grande partie de sa famille : tuer Vincent Lambert. J’avoue que lorsque la ministre « des solidarités et de la santé » (j’aime bien, en l’occurrence, les solidarités) s’est pourvue en cassation, j’en suis resté sidéré. J’étais persuadé que le gouvernement, dans cette affaire, resterait neutre. Après tout, Emmanuel Macron avait déclaré, peu de temps auparavant, qu’il ne souhaitait surtout pas s’en mêler ; je pensais, bêtement, que ses ministres seraient sur la même ligne.
J’aurais dû me méfier d’Agnès Buzyn. Je m’en méfiais un peu, à vrai dire, depuis que je l’avais entendu déclarer que la conclusion à tirer de ces tristes événements, c’est qu’il ne fallait pas oublier de rédiger ses directives anticipées (elle en parlait vraiment comme on rappelle un devoir à faire à ses enfants ; elle n’a même pas précisé dans quel sens devaient aller les directives, tant ça lui paraissait aller de soi. »
En cet étrange mois de juillet 2019, Michel Houllebecq a sauvé l'honneur d'une certaine idée de l'intellectuel français. Mais dire cela, c'est aussitôt souligner l'inaction, le silence - ou la complicité - d'un Emmanuel Macron, lui qui, pourtant, se prétendait disciple de Paul Ricœur, qui empilait les Pléiades sur son bureau présidentiel et qui décorait, il y a encore quelques mois, le même Michel Houellebecq.
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