Cyril Delhay : le gourou du grand oral du bac n’a-t-il pas un peu la grosse tête ?
Connaissez-vous Cyril Delhay ? Vous devriez. C'est le concepteur du fameux « grand oral » du nouveau bac Blanquer, dont les modalités ont été dévoilées au Bulletin officiel. Dans les portraits de cet agrégé d'histoire, professeur d'éloquence à Sciences Po, qui paraissent ici ou là, on apprend que, parmi les 7.000 personnes qu'il a formées, on compte plusieurs membres du gouvernement et qu'il fut le maître d'œuvre des « conventions éducation prioritaire » de Sciences Po auprès de Richard Descoings. Un beau CV.
Mais Cyril Delhay et son « grand oral », c'est encore lui-même qui en parle le mieux. Et même à l'écrit. Pour lui, cette réforme n'est rien moins qu'« une révolution », destinée à combler « le retard historique » de la France.
Certes, on peut être sensible à certains de ses arguments et reconnaître que l'oral a été, par le passé, le parent pauvre de l'enseignement en France. La République aurait, d'ailleurs, mieux fait de se souvenir de l'éducation jésuite dans laquelle il était fondamental, aurait-il pu rappeler. On peut même espérer que cette nouvelle place faite à l'oral ait des résultats positifs sur l'écrit et même le climat des classes. Et trouver Cyril Delhay convaincant quand il écrit, dans Le Monde : « L’oral est une école de clarté et de concision dont les bénéfices rejaillissent sur l’écrit. La phrase courte, avec une idée par phrase, est sa séquence fondamentale. L’écrit et l’oral sont bien les deux appuis, on pourrait dire les deux jambes, de l’éducation. Nous demandions à nos élèves quelque chose d’inouï : courir à cloche-pied tout au long de leur scolarité. Mais aussi et dans un même élan, nous le demandions à nos enseignants. La réhabilitation de l’oral dans l’école française ouvre la voie à des pédagogies plus variées et performantes, mais aussi à une meilleure qualité d’écoute et de vie en classe. Les résultats de l’enquête PISA 2019 montrent que la moitié des élèves français se plaignent du bruit en cours – au lieu de 30 % dans les autres pays de l’OCDE. N’est-ce pas parce qu’on n’a pas appris à nos élèves à parler qu’on ne leur a pas davantage enseigné à écouter ? »
Mais on peut aussi estimer que notre professeur d'art oratoire se laisse un peu emporter dans son élan quand il assimile sa réforme à « une grande réforme de l’éducation. Une réforme de société longtemps jugée impensable comme le furent celle des congés payés, du droit à l’avortement, de l’abolition de la peine de mort ou du mariage pour tous. » Pourquoi pas la PMA-GPA ? Voilà, les mots sont lâchés, le grand oral est bon car c'est une grande réforme de gauche, sociale et progressiste. Sur le fond, on voit mal le rapport : les domaines, les enjeux, les conséquences ne sont pas les mêmes. Peut-être est-ce là un argument destiné à regagner une opinion enseignante de gauche exaspérée par cette réforme du lycée et ces fameux E3C (au fait, qui est le gourou, pour ça ?).
Être orateur, c'est bien connu depuis Cicéron - et avant -, c'est d'abord aller chercher des arguments pour convaincre - l'inventio - et, en ce mois de février, Cyril Delhay est allé chercher du lourd : « réforme de société », donc, et même comparable à... l'instauration de la République : « Il est des réformes majeures qui entrent sur la pointe des pieds. La République avait ainsi été actée par le vote du modeste amendement Wallon, en 1875, dans un contexte tumultueux, à une seule voix de majorité. »
Et puis, puisqu'il en faut pour tous les goûts, dans le monde d'Emmanuel Macron, Cyril Delhay avance un dernier argument : « C’est formidable parce que l’art oratoire est un art canaille. Il faut aller vers le lâcher-prise. Ce n’est pas une école de la docilité pour petit enfant modèle. »
Si, avec ça, la gauche de papi et celle des rappeurs ne sont pas conquises... Mais cette mégalomanie et ces arguments de vente en viendraient presque à rendre le produit suspect.
C'est dommage, car Cyril Delhay sait être bien meilleur - à l'oral -, notamment quand il évoque la gestuelle de Trump ou Démosthène et Quintilien. Au fait, ces deux-là, ils auraient bien besoin d'un bon avocat pour plaider leur survie dans nos établissements et nos universités, cher Cyril Delhay. Si jamais vous croisez un ministre ou un Président - d'aujourd'hui ou de demain -, glissez-lui-en un mot.
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