Pas plus de 100 km pour éviter les « brassages de population »… et si on reparlait des frontières ?
Au mois de décembre, on sort de sa boîte le confit de canard. Au mois de mai, on déverrouille le couvercle du confit de Français. Enfin, on l’entrouvre. Pas plus de 100 km, essentiellement pour aller au boulot. Mais n’est-ce pas là la vraie liberté, mes chéris ? Arbeit macht frei, comme disaient d’autres grands confineurs historiques de Français.
Youpi ! Le formidable progrès, et c’est à peu près le seul, est que nous n’aurons plus à produire, dans notre département ou dans un rayon de 100 km « à vol d’oiseau », notre auto-autorisation de sortie, document de confinement confinant surtout à l’absurde, fruit des amours monstrueuses du « trouple » Courteline, Ionesco et Devos.
Le précieux document reste cependant valable « au-delà », Édouard Philippe ayant précisé qu’il fallait absolument éviter les « brassages de population ». Une déclaration aux relents réactionnaires et même ségrégationnistes tout à fait contraire au vivre ensemble, poncif un peu moins à la mode, il est vrai, ces temps derniers, le mourir seul ayant pris le dessus. Rassurez-vous cependant, le politiquement correct est sauf, puisqu’il ne s'agit là que d’exclusion franco-française : interdiction est faite aux bouseux du Cantal de se mélanger aux ploucs du Berry. Chacun chez soi et les vaches - c’est-à-dire nous, ruminants nos inquiétudes - seront bien gardées.
Pour y contrevenir il faudra un « motif professionnel ou familial impérieux ». Aucune liste exhaustive, mais un contre-exemple, en revanche, a été cité jeudi par un Édouard Philippe ironique, comme si cela tombait sous le sens, ma brave dame. Rejoindre sa résidence secondaire n’est pas une bonne raison.
La propriété, c’est mal, vouloir s’y rendre - par exemple pour l’entretenir -, c’est encore pire. Ce gouvernement n’aime pas le patrimoine, et comme Stéphane Bern l’a fait remarquer, évoquant « un malentendu », celui-ci est d’ailleurs l’angle mort du plan de sauvetage de la culture récemment déroulé par Franck Riester. Celui-ci est plutôt axé, voyez-vous, sur le « fratrimoine » : les frérots, les potes, les copains de gauche du « spectacle vivant ».
Sans compter qu’en ces temps d’impopularité, réveiller l’image d’Épinal du bourgeois parisien rejoignant sa luxueuse villa à l’île de Ré en faisant peu de cas des gueux, là-bas, qu’il risque de contaminer permet d’encaisser les bénéfices faciles d’une lutte des classes mal éteinte. Tant pis pour la mauvaise foi, car évidemment, la résidence secondaire, c’est aussi et surtout le Français modeste, locataire de son logement principal tout aussi modeste que lui mais qu’il est pourtant bien incapable d’acquérir, eu égard à la pression immobilière des grandes métropoles où, bassin d’emploi oblige, il a bien dû faire sa vie. Celui-ci a donc gardé ou acheté une petite bicoque en province, ses racines et son refuge, dont il aime et doit, à chaque printemps, entretenir le toit et le jardin. Sauf cette année. Pour les retraités, c’est double peine : non seulement on les enjoint à rester terrés chez eux (certes, ils sont autorisés à sortir, mais c’est à leurs risques et périls et on leur promet gentiment mille morts s’ils s’y aventuraient) mais, en sus, ils n’ont pas le droit de se retirer, au calme, dans une région moins anxiogène où ils pourront enfin respirer, près de leurs géraniums et rosiers en fleur.
Dire que le 10 mars dernier, lorsque le jeune Sebastian Kurz a décidé de contrôler drastiquement les entrées sur le territoire autrichien, Emmanuel Macron a parlé de « mauvaise décision », le virus, selon lui (petit rire), ne connaissant pas les frontières. Mais le virus connaît les octrois ?
Heureusement, le jeune chancelier fédéral a la charité, aujourd’hui, de ne pas le narguer : dans un pays certes plus petit que le nôtre mais à densité comparable (et ayant eu, lui aussi, ses foyers infectieux, en particulier dans le Tyrol), il y a proportionnellement six fois moins de morts, le processus de déconfinement a démarré le 14 avril (pour un confinement entamé peu ou prou en même temps que nous), les bars et restaurants, derniers commerçants fermés, rouvriront le 15 mai. Les écoliers auront tous repris le 18, et le bac aura bel et bien lieu.
Lorsque l’heure sera venue, calmement mais avec détermination, de déballer tous les dossiers pour faire la vérité, penser, après la mascarade et le sketch des tests, à ne pas oublier la scandaleuse pantomime des frontières.
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