Livre : À propos des dieux. L’esprit des polythéismes, de Jean-François Gauthier
Existe-t-il un catholicisme païen ? Gageons que cette question ainsi abruptement formulée suscitera, au pire, l’ire des bigots de stricte observance, au mieux, une indifférence polie mais hautaine de la part d’autres dévots qui nous taxeraient – en sus de nous accoler l’épithète de relativiste – de ne rien connaître des Saintes Écritures comme de la Vérité néotestamentaire du message christique. Nous leur répondrons – ainsi qu’aux païens qui se risqueraient à nous intenter, mais en sens inverse, semblable procès pour tentative d’embrigadement des divinités immanentes sous la seule bannière du Dieu unique – que leurs attitudes fixes les condamnent à ne pas saisir le véritable esprit des polythéismes qui irrigue, nolens volens, la Révélation monothéiste.
Nous les encouragerons à se plonger avec profit dans le petit livre de Jean-François Gauthier, plume bien connue de la revue d’idées Éléments. Ils y verront que s’il y a bien un seul Dieu en sa Parole universelle, en son Logos éternel, il a aussi bien une diversité d’hommes dont l’invariable tâche, durant leur furtive présence sur terre, a toujours consisté à emprunter les chemins des mythes pour parvenir aux solutions des énigmes qu’ils se posent perpétuellement depuis l’aube des temps.
Avant d’accéder au Ciel, convient-il d’abord de vivre, c’est-à-dire d’encourir le risque de sa fragile condition humaine dans la pleine acceptation de sa finitude. Ceci revient, selon une métaphore bien connue, à funambuler sur un fil tendu au-dessus d’un volcan.
Le recours à l’esprit des polythéismes – puissant sous-titre évocateur de l’ouvrage – ne se présente pas sous les aspects New-Age des nombreuses spiritualités qui irriguent les sociétés humaines. Les dieux antiques qui émaillaient le monde méditerranéen n’offraient aucun salut. Tout juste, ce qui était déjà beaucoup, aidaient-ils les hommes à s’accorder avec eux-mêmes et avec la Cité. Ils pressentaient ineffablement que l’ordre du monde passait invariablement par cette harmonie entre eux, la Cité et ces divinités « sans calculs ».
Les paganismes d’alors n’avaient aucune prétention à l’universel et à l’unique. Leur ambition, plus modeste, était de rappeler à l’homme, au citoyen, au patricien, au soldat sa juste place. À ce titre, la seule égalité concevable était celle de l’homme devant la loi collective et non cette destructrice passion isonomique de nos modernes déifiant, jusqu’à l’hubris, l’Égalité en majuscule de tous les hommes entre eux.
On pourrait dire que le paganisme était enraciné, non pas au sens que l’on pourrait attribuer, de nos jours, à ce terme, mais parce que, territorialisé, impliquait-il nécessairement le sens des limites. Bien davantage qu’une spiritualité, le paganisme était une éthique. La vie bonne ne devait pas tendre à la conciliation des contraires, mais à se tenir à égale distance de ceux-ci, en un juste milieu qu’Aristote avait érigé en vertu cardinale.
Parce que l’homme baigne dans un inconnu aussi bien originel que téléologique et eschatologique, parce qu’il ne peut se substituer aux dieux et à leurs oracles, parce qu’il doit d’abord s’adosser à ses propres expériences comme aux leçons du passé, parce qu’il ne peut échapper à ses furieux élans dionysiaques comme à sa propension apollonienne à l’un (faussement) rassurant, parce qu’il aspire autant, tel Hermès, à repousser les limites de ses contrées familières qu’à borner celles de son foyer, parce qu’il est aussi inconstant que soucieux de stabilité, cet homme ne peut qu’être Grec par excellence, c’est-à-dire païen. En un autre mot qui le rend singulier dans sa pluralité, Européen.
Belle leçon sur l’authentique diversité des hommes et des dieux, celle de toujours et non cette injonction factice et totalitaire de l’indifférenciation métissée voulue par les harpies post-modernes.
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