Emmanuel Macron et le Liban : entre maladresses et inexpérience…
Dans un article du mois d’août, je laissais apparaître mon pessimisme sur le Liban : « Ce ne sont pas les rodomontades du Président français qui tireront le Liban d’une impasse structurelle : une nation ne peut être constituée de tribus rivales. C’est une évidence que les Français devraient méditer… »
Très attaché à ce pays dont les liens avec la France sont anciens et profonds, j’ai espéré que l’action du Président français, fondée comme on pouvait le croire sur la connaissance de la situation que les services qui l’entourent doivent lui apporter, démente mon pessimisme. Hélas, le chef de l’État a échoué en ajoutant à sa méconnaissance du terrain un style d’une maladresse surprenante.
Le marasme économique qui conduit le Liban à la banqueroute, et qu’a révélé la terrible explosion du 4 août aux yeux du monde entier, dont les regards étaient jusqu’alors fixés sur le Covid-19, limite considérablement l’autonomie du pays qui a le plus grand besoin de l’aide internationale. Il n’était donc nullement nécessaire d’humilier ses dirigeants qui ne sont ni aveugles ni sourds. Perdre la face est, pour eux, la pire des épreuves, pire que de risquer sa vie. Le nombre des hommes politiques libanais assassinés montre que le courage est au moins aussi présent chez eux que la soif du pouvoir et la corruption dont on les accuse.
Il fallait donc les traiter avec respect et non tenter de les mettre au ban d’un peuple en colère. Certes, la rue a semblé bien accueillir la sévérité du discours présidentiel français, mais il n’y a pas qu’une rue au Liban, surtout des communautés et des fiefs qui réagissent différemment. Les partis entretiennent des relations privilégiées, et néanmoins mouvantes, avec des puissances étrangères, les sunnites avec les puissances du Golfe et, donc, « l’Occident », les chiites avec l’Iran dont le Hezbollah, seule faction à la fois politique et militaire, est le bras armé. Israël veut, avec le soutien américain, la destruction de la menace chiite à sa frontière. La Syrie joue toujours un rôle important chez son voisin. Quant aux chrétiens, ils sont divisés entre les partisans du président Aoun, allié aux chiites, et ceux qui, avec Samir Geagea, sont dans la tradition maronite pro-occidentale.
La France demeure très présente au pays du Cèdre. Mais cette présence a toujours reposé sur une amitié particulière avec la communauté catholique maronite qui détient constitutionnellement la présidence. Même la république laïque n’avait pas ignoré cette réalité. La France a été timorée dans son soutien aux chrétiens durant la guerre civile entre 1975 et 1990. Ceux-ci ont perdu leur position dominante sur l’échiquier politique et se sont divisés.
Or, ils étaient, qu’on le veuille ou non, la raison d’être du Liban auquel ils apportaient leur aptitude à une certaine démocratie en même temps qu’une ouverture sur le monde que leur attribuait leur originalité dans la région. Le contact avec les chrétiens et les sunnites était relativement facile, pour M. Macron. Il était plus délicat avec les chiites, comme en a témoigné la malencontreuse algarade infligée au journaliste Malbrunot qui avait rendu publique la rencontre du président avec le Hezbollah, organisation classée terroriste par Washington. Or, la position de cette organisation au sein du gouvernement de Beyrouth, sa puissance militaire, son lien avec l’Iran la rendent incontournable.
Il était nécessaire que la France s’entretienne avec elle, mais il n’était pas indispensable que le Président français, en transformant une action diplomatique délicate en spectacle de promotion personnelle, soit en première ligne de manière à indisposer ses alliés. Comme le Hezbollah est, en fait, la principale cible d’une réforme en profondeur du Liban voulue par les Occidentaux, son chef, auquel M. Macron demandait de prouver qu’il était libanais, s’est fait un malin plaisir de brandir la dignité de son pays face à l’ingérence française : « Nous avons salué le Président Macron lors de sa visite, mais pas sur la base qu’il soit le procureur, l’enquêteur, le juge, le dirigeant et le gouverneur du Liban. » Subtile ironie à l’encontre de celui qui pourfend sans mesure le colonialisme…
La tentative du Président français d’échapper au brouillard « covidien » de la politique intérieure en s’ébrouant sur la scène internationale, de la Libye à l’Arménie, accroît malheureusement les doutes sur son inexpérience.
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