Les militaires au secours des républiques

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Dans cette France exsangue de 2020, 20 % des Français ont déclaré se tenir prêts à voter pour le général Pierre de Villiers. Parce qu’il incarne le chef, parce qu’il représente l’autorité de par ses étoiles et son expérience. Peu importe, au fond, ce qu’il pense et quelle politique il mettrait en œuvre. Il est l’homme qui a tenu tête à Emmanuel Macron, le chef droit dans ses bottes qui a préféré la démission à ce qu’il considérait comme un déshonneur. Et ce geste a fait rêver les Français, eux qui désignent de plus en plus le Président Macron en adversaire.

« La guerre est un sujet trop sérieux pour la confier à des militaires » : cette citation de Georges Clemenceau a fait date et est ressortie régulièrement, accommodée à toutes les sauces et servie à chaque débat. Il est, cependant, une contre-citation qui aurait pu naître dans la bouche de bien des officiers supérieurs : « La politique est un sujet trop sérieux pour la confier aux civils. » Depuis la proclamation de la république, en 1792, la France s’est enfoncée dans une instabilité de régimes inédite dans son Histoire. Si la république semble être le régime le plus adapté au caractère et aux habitudes des Français, l’Histoire de France à l’échelle globale tend à démontrer que ce régime politique n’est pas solidement établi sur ses fondations. Pas moins de cinq républiques parsemées de restaurations, d’empires et de crises majeures.

Comme si cette république, « qui gouverne mal mais se défend bien », avait entamé une sécession avec la nation qui se traduit, aujourd’hui, par un usage régulier, voire abusif pour certains, d’une république placée avant la France. Le système politique prime sur la nation, une véritable hérésie pour l’historien Jacques Bainville pour qui la France « est un composé. Elle est mieux qu’une race, c’est une nation ! » Une assertion que n’aurait pas démentie Ernest Renan : « La nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n’en font qu’une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L’une est dans le passé, l’autre dans le présent. L’une est la possession en commun d’un riche legs de souvenirs ; l’autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l’héritage qu’on a reçu indivis. […] Je me résume, Messieurs. L’homme n’est esclave ni de sa race ni de sa langue, ni de sa religion, ni du cours des fleuves, ni de la direction des chaînes de montagne. Une grande agrégation d’hommes, saine d’esprit et chaude de cœur, crée une conscience morale qui s’appelle une nation. »

Au fond, n’est-ce pas l’erreur dans laquelle s’est enferrée la république ? Devenir une sorte d’amas de particules gazeuses en suspension, déracinées et flottant au gré des événements sans réelle consistance ni attache ? N’est-ce pas à cela que répond la tentation du général ? Au fond, la république française apparaît comme une errance adolescente qui rechigne à se dire qu’il va bien falloir, un jour, retourner chez son père. Mais pour cela, il faudrait avoir l’honnêteté de reconnaître qu’on s’est trompé. Et puis, si la république allait autant de soi, pourquoi, à chaque crise traversée par cette dernière, la figure d’un chef militaire s’est systématiquement imposée en dernier recours ? Pourquoi a-t-il fallu rappeler de Gaulle en 1958 ? Pétain en 1940 ? Pourquoi le général Boulanger et le colonel de La Rocque ont-ils bien failli mettre fin à la IIIe République dont les accusations de corruption ont été jusqu’à la menacer d’extinction ? Pourquoi s’est-elle effondrée avec la Seconde Guerre mondiale ? Pourquoi a-t-il fallu un Napoléon Bonaparte pour mettre fin à dix ans d’instabilité et de menace d’effondrement ? Pourquoi, aujourd’hui, certains regardent-ils avec insistance vers le général de Villiers ? Quelle est cette faiblesse béante au cœur du système républicain ? Ou, plutôt, comment expliquer ce recours aux militaires lorsque tout semble perdu ? Comme si l’ombre d’un roi, le fantôme d’une autorité déchue planaient dans l’inconscient collectif et se traduisaient par ce retour aux fondamentaux des armes. Maintenant, est-ce qu’une telle issue est souhaitable ?

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Marc Eynaud
Journaliste à BV

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