La Turquie infiltre la France : fantasme ou réalité ?

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Ce n'est pas l'invention de quelque complotiste qui aurait lu trop de romans d'espionnage, c'est le JDD, généralement sérieux dans ses enquêtes, qui titre à la une : « Comment Erdoğan infiltre la France. » À la lecture de ce dossier consacré à l'influence de la Turquie dans notre pays, on ne peut que constater et déplorer l'inconscience, la naïveté, l'incurie de l'exécutif face à cette menace.

Nos gouvernants – méritent-ils encore ce nom ? – sont d'autant plus impardonnables que les rapports des services de renseignement les ont depuis longtemps alertés. C'est une « véritable stratégie d'infiltration », selon le JDD, qui est impulsée depuis Ankara, avec l'appui de l'ambassade et des services d'espionnage turcs. En janvier 2018, le président Erdoğan avait lancé devant les dirigeants du CFCM : « Les musulmans de France sont sous ma protection. Ceux qui vous touchent me touchent. » Il tient son engagement, c'est le moins qu'on puisse dire, et se comporte, à l'égard de la communauté musulmane, en père attentionné et vigilant.

Cette mainmise lui permet, non seulement de surveiller les mouvements d'opposition à son régime, mais aussi de diffuser sa propagande. Elle repose sur un réseau d'associations acquises à sa cause et sur des écoles destinées à éduquer les enfants selon les préceptes de l'AKP, le parti islamo-conservateur. Aux établissements privés, censés favoriser le « rayonnement culturel de la Turquie », s'ajoute le dispositif des ELCO (enseignement langue et culture d'origine) que Macron aurait – enfin ! – l'intention de supprimer. Certains des maîtres détachés par la Turquie seraient, en fait, des espions au service d'Erdoğan.

Propagande idéologique du régime et diffusion de l'islam politique vont de pair. Non contents d'exercer leur pression, comme lors des négociations en vue de la rédaction de la « charte des valeurs », ces ennemis de l'intérieur cherchent à infiltrer les municipalités en faisant élire des colistiers turcs pour influencer les décisions politiques et défendre les intérêts d'Ankara. Cet entrisme, selon les services spécialisés, se pratique notamment par la présentation de candidats binationaux : plusieurs conseillers municipaux, sympathisants d'Erdoğan, auraient ainsi été élus en 2020.

Le JDD nous confirme aussi que Macron et Erdoğan tiennent un « dialogue de sourds ». Le président turc pousse l'insolence jusqu'à s'interroger sur la « santé mentale » de son homologue, réclame même que les Français « se débarrassent de Macron » ! Il ne lui opposera pas de résistance, voyons ! Il finit toujours par se coucher, empêtré dans ses contradictions et son absence de détermination. Si vous ne le saviez pas, vous apprendrez également qu'« un inquiétant activiste » se trouve « au sommet de l'islam de France » et qu'Erdoğan « considère les Turcs d'Europe comme ses sujets ».

Les réactions d'Emmanuel Macron ne sont pas à la hauteur de la situation : elle sont, à son image, fermes dans les mots, dérisoires dans les actes. La Turquie aurait tort de se gêner. Elle fait toujours partie de l'OTAN, les négociations pour son adhésion à l'Union européenne ne sont pas définitivement rompues et nos dirigeants continuent de se comporter en Munichois. Erdoğan peut se frotter les mains : ses sbires infiltrent la France, Macron exfiltre un professeur de philosophie de Trappes : tout est dans l'ordre !

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Philippe Kerlouan
Chroniqueur à BV, écrivain, professeur en retraite

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